Le premier ministre a entamé une vaste manœuvre idéologique pour reconquérir le Parti socialiste puis partir à l’assaut de l’Elysée. Parole fondatrice : son discours à l’Assemblée nationale. Son modèle : Clemenceau.
«Il y a quelque chose qui nous a tous renforcé, après ces événements et après les marches de cette fin de semaine. Je crois que nous le sentons tous, c’est plus que jamais la fierté d’être français. Ne l’oublions jamais ! » Ces propos extraits du discours prononcé par Manuel Valls à l’Assemblée nationale resteront peut-être dans l’histoire du Parti socialiste à l’égal du congrès d’Epinay ou de la défaite de Lionel Jospin lors de l’élection présidentielle de 2002.
Beaucoup plus que François Hollande et en acceptant de désigner le terrorisme islamiste comme l’ennemi, Manuel Valls vient d’initier une possible réactivation idéologique du socialiste. « Il a fait du Clemenceau », nous explique un ancien député socialiste. Clemenceau, ce radical – socialiste de combat, anticlérical mais promoteur de l’Union sacrée des socialistes patriotes jusqu’aux royalistes de l’Action Française, entre 1914 et 1918. La comparaison entre Valls et Clemenceau est bien sûr exagérée mais c’est ce ressenti très positif au sein du Parti socialiste, voire chez une partie de la droite et du centre, qui nous intéresse ici.
Rappelons l’état des lieux avant ces attentats : un PS tiraillé entre deux tiers de parlementaires sociaux-démocrates ralliés au consensus mou de centre gauche porté par François Hollande, et un tiers (au plus) de frondeurs disparates, allant des islamo-gauchistes aux souverainistes chevénementistes, mais tous opposés à la rigueur budgétaire imposée par Bruxelles et Bercy.
Réussir l’alliance des libéraux et des jacobins
Manuel Valls, passé par différents stades, ayant renoncé au soutien à la cause palestinienne qu’il affichait dans son fief de l’Essonne, pour un sionisme militant, a aujourd’hui une stratégie ambitieuse mais claire. Aidé de puissants relais dans les médias, convaincus que les Français souhaitent avant tout de l’ordre (ils applaudissent les policiers et les gendarmes), il pense pouvoir s’imposer au centre du jeu socialiste en réunissant les libéraux (pour satisfaire le patronat) et les jacobins nostalgiques d’un Etat fort (pour contrer l’évaporation des voix socialistes en faveur de Marine Le Pen).
Concernant les partenaires historiques du PS à gauche, Manuel Valls séduit évidemment les radicaux du PRG mais déplait fortement aux Verts et aux communistes, qui jouent la carte communautaire musulmane. Comme poursuit notre interlocuteur du PS, de sensibilité jacobine : « Il n’y a aucune raison de douter de la sincérité de Valls. » La présence d’Emmanuel Macron au gouvernement est vite oubliée par ceux qui s’en scandalisaient la veille !
Valls souhaite apparaître comme la figure montante du respect de la laïcité et de l’ordre républicain. Il y a, en cela, une continuité entre sa répression des opposants au mariage pour tous en 2 013 et ses propos contre les islamistes : « Cette République doit faire preuve de la plus grande fermeté, de la plus grande intransigeance, face à ceux qui tentent, au nom de l’islam, d’imposer une chape de plomb sur des quartiers, de faire régner leur ordre sur fond de trafics et sur fond de radicalisme religieux, un ordre dans lequel l’homme domine la femme, où la foi […] l’emporterait sur la raison. »
Dès lors qu’on applaudit la police, tout est possible…
Les musulmans de France ont bien senti le danger et transmis leurs doléances au sommet de l’Etat : ils veulent des gestes contre l’« islamophobie » et des policiers pour garder les mosquées. Valls leur enverra son ministre de l’Intérieur et celui de la Défense mais s’est bien gardé de les accompagner à la Mosquée de Paris. Quelques têtes de cochons clouées sur des mosquées et quelques mitraillages d’opérette ne sont évidemment pas du même niveau que le regain d’antisémitisme qui, année après année, tue des innocents. La haine des juifs par une partie des musulmans produit un antisémitisme dans notre pays. L’« islamophobie » est un cache-sexe facile pour ne pas entendre le rejet de plus en plus massif d’une immigration incontrôlée.
Si la croyance de Manuel Valls dans l’ordre républicain paraît sincère (avec les insuffisances et limites de ce dernier), continue de se poser une interrogation profonde à son égard vis-à-vis de la question de la souveraineté. Entre son discours et celui d’Henri Guaino ou d’un Aymeric Chauprade, il y a non seulement toute l’étendue de la question religieuse (vis-à-vis du catholicisme s’entend) mais aussi celui de la souveraineté, du retour aux frontières et d’un certain protectionnisme. La répression justifiée contre les dérives communautaires des islamistes en France peut-elle être menée à bien dans une Europe passoire aux frontières mal définies ? Evidemment non. Il faudra soit réformer l’Europe, soit en sortir.
La stratégie de Valls a ses limites, celles d’un anticléricalisme motivé par l’ordre républicain car elle est toute en tensions dans une société bien plus fragmentée qu’aux temps de Clemenceau. N’oublions pas qu’en 1920, ce dernier, le « Père de la victoire », sera battu par l’obscur Deschanel à la présidence de la République : pour les socialistes de la SFIO, il était impossible de voter pour le « premier flic de France », pour les catholiques, il restait le « Vendéen rouge » décrit par Léon Daudet. Il est vrai aussi que seuls les parlementaires élisaient alors le chef de l’Etat…
Antoine Ciney