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Un demi-siècle de révélations et de scandales politiques : Minute fête ses 50 ans !

6 avril 1962. De Gaulle règne sur le pays. Dans moins de quatre mois, l’Algérie française ne sera plus qu’un souvenir douloureux. Sans la forfaiture gaulliste, cette date du 6 avril 1962 ne serait jamais entrée dans l’histoire de la presse française. C’est en effet ce vendredi que paraît le premier numéro de « Minute ». Un premier numéro pour dire non. Non au mensonge et au reniement. Plus de 2 550 numéros ont suivi. Imprimés sur le même créneau et lus pour la même raison. Rétrospective. Amis lecteurs c’est à vous que le « merci » revient en priorité.

Qui aurait pu croire que le ca­nard boiteux qui paraît ce jour-là serait encore debout un demi-siècle plus tard ? Personne. Si, un homme. Son fondateur : Monsieur Jean-François De­vay. Célèbre chroniqueur au quotidien « Paris-Presse », redouté mais salué de tous, il tourne brusquement le dos à une réussite facile pour fonder, avec son propre ar­gent et celui de quelques amis, un journal politique à contre-courant. Il fallait oser. Il a osé. Et il a réussi. L’aventure démarre au 12, rue du Croissant dans le deuxième arrondissement de Paris. Les lo­caux sont vétustes. Le confort laisse à désirer. Autour de Jean-François Devay, une poignée de mousquetaires, dont Jean Boizeau, qui n’a pas hésité à quitter « L’Aurore » pour participer à l’aventure. Ce pre­mier numéro, subtil mélange de révélations politiques et « parisien­nes », est tiré à 70 000 exemplaires. Un bon début. De Gaulle en fait les frais. Le fossoyeur de l’Algérie fran­çaise n’est pas au bout de ses peines. Il devra supporter l’impertinence de « Minute » jusqu’à son départ de l’Elysée en 1969. Le journal n’a pas cinq mois qu’il sort son premier scoop – le premier d’une lon­­gue série. Le 17 août, il paraît avec une manchette qui fait hausser les épaules aux personnes « bien in­formées » : « Neuf commandos OAS contre De Gaulle ». Cinq jours plus tard, les mêmes personnes bien « informées » ont la queue plus bas­se : l’attentat du Petit-Clamart vient d’échouer.
1 964. « Minute » s’enrichit de deux nouvelles signatures de prestige. François Brigneau, une des plus belles plumes de la presse du XXe siècle, trempée dans le vitriol et imprégnée de la colère du pamphlétaire. Brigneau, qui restera jusqu’au milieu des années 1980 l’éditorialiste vedette du journal, fait une entrée fracassante avec un article de­meuré célèbre « L’enfant de la rue d’Isly ». Il y a aussi Jean Bourdier, le plus anglais des écrivains français, à moins que cela ne soit le con­traire. L’élégance de la plume, le char­me de l’écrivain. Sans oublier la gentillesse de l’homme.
Dès ses premières années, « Mi­nute » sent le soufre. Celui de l’OAS et de l’extrême droite. Son insolence dérange. Ses « Unes » ra­coleuses choquent. Mais, à l’abri des regards, nombreux sont les con­frères et les politiques qui en­vient ce journal… tout en le craignant. Journal libre, journal indépendant, journal d’investigation, rassemblant des plumes prestigi­eu­ses et constituant une formidable éco­le de journalisme. Les années passent. 1 965 et l’affaire Ben Barka pour laquelle « Minute » est le premier à dénoncer le rôle des « barbouzes » ; 1 968 où, dès le 2 mai, no­tre hebdomadaire titre : « Assez de ces enragés rouges. Qu’attendez-vous pour expulser l’Allemand Cohn-Bendit, chef des commandos de vanda­les ? » ; puis 1 969 et la fin tant attendue de De Gaulle.

« Minute » continue
25 juillet 1971 : l’aventure aurait pu s’arrêter. Atteint d’un cancer du poumon, Jean-François Devay meurt à l’âge de 45 ans. Mais notre fondateur, lucide sur son sort, avait préparé sa succession et rédigé un ultime éditorial : « “Minute” continue ». Avec Jean Boizeau, la continui­té est assurée. Jean Boizeau, que ses collaborateurs surnommaient af­fectueusement « le parrain » – non pas, comme devait l’écrire Jean Bour­dier, « seulement pour ses allures de mafioso, mais aussi pour les rapports quasi filiaux que nous entretenions avec lui. » Oui, l’aventure continue. Et avec elle, les bombes et les procès.
De son vivant, Jean-François De­vay avait connu trois attentats, dont celui du 30 juin 1968 contre son domicile. Le 15 juin 1972, c’est le domicile de François Brigneau qui est visé. Un éboueur algérien ra­masse la bombe. Elle explose. Le malheureux a une main arrachée et l’autre broyée. D’autres suivront, no­tamment en 1982 et 1985, revendiqués par les tueurs d’Action Di­recte. Bombes un jour, procès et saisies un autre jour. « Minute » peut s’enorgueillir de ce double titre : jou­rnal de France le plus plastiqué et le plus condamné. Les prétoires, « Minute » connaît. En ce début des années 1970, Georges Marchais, secrétaire général du Parti communiste, lui fait un procès pour avoir ré­vélé qu’il était travailleur volontaire en Allemagne pendant la guer­re. Mal lui en a pris. A l’audience, le stalinien finit par fondre en larmes. « Minute » n’avait rien inventé.

Nouvelle saisie,
nouveau procès…
1 974. Débarquent deux recrues de poids. Et de choc. Serge de Be­ketch, qui vient du journal « Pilote » de René Goscinny, toute la grandeur et tous les paradoxes de l’âme slave ; et ADG, le héraut de la sé­rie noire, l’auteur inoubliable de Notre frère qui êtes odieux et de La nuit des grands chiens malades, dont les livres à succès sont régulièrement portés à l’écran au cours des années 1970. Terribles années 1970. En 1979, Jacques Mesrine est « l’ennemi public n° 1 ». Un informateur de « Minute », Jacques Tillier, réussit à entrer en contact avec lui. Rendez-vous est donné. C’est un piè­ge. Tillier reçoit quatre balles. Il est laissé pour mort.
Novembre 1980. Nouveau coup dur pour « Minute ». Jean Boizeau meurt à son tour. Foudroyé comme un capitaine à la barre. Jean-Claude Goudeau lui succède. « Minute » con­tinue. Encore et toujours. Le giscardisme agonise. Voilà le 10 mai 1981 et la victoire de François Mitterrand. « Minute » ne va pas le lâ­cher. La francisque reçue de Pétain, ses liens de jeunesse avec l’extrême droite ou l’existence de Mazarine, c’est « Minute », une fois encore, qui est à l’origine de ces révélations. 27 décembre 1985. L’avocat Jacques Perrot, mari de la femme jo­ckey Darie Boutboul, est retrouvé mort devant l’appartement de ses parents. « Minute » révèle ses liens avec Laurent Fabius. Dans son numéro du 28 février 1986, il publie des photos du couple Fabius avec l’avocat. L’une des photos mon­tre Madame Fabius… les seins nus. Le numéro ne reste dans les kiosques que quelques heures. Nou­velle saisie. Nouveau procès.

Cap sur le centenaire
Cette année 1986 marque un tournant pour le journal. Au cours de l’été, Jean-Claude Goudeau est remplacé par Patrick Buisson, ac­tuel conseiller de Nicolas Sarkozy. Bon journaliste, Buisson veut transformer « Minute » en newsmagazine. Esthétiquement parlant, c’est une réussite. Sur le plan financier, c’est une catastrophe.
La nouvelle formule est inaugurée le 15 janvier 1987. Le 28 mai, Buisson est débarqué et Goudeau de retour. Pour trois ans seulement. En 1990, Serge Martinez, du Front national, rachète le journal. Serge de Beketch y fait son retour. Son expérience ne suffit pas à empêcher Martinez, qui n’est pas un homme de presse, de commettre deux er­reurs. Revenir à la formule « news » qui a failli tuer le journal. Et surtout, changer son titre. « Minute » devient « Minute-La France » puis « La France ».
En 1993, Martinez jette l’éponge. Gérald Penciolelli, véritable professionnel de la presse, prend la suite. « Minute » retrouve ses couleurs. Les confidences reprennent, comme celles de Borloo qui avoue ne pas être hostile à une entente avec… Le Pen. En 1999, « Minute » est à nouveau en proie aux difficultés financières. Le journal est mis en redressement judiciaire. Est-ce la fin ? Non. Début 2000, avec le nouveau siècle, « Minute » reparaît après sept mois d’interruption sous la direction de Jean-Marie Molitor, qui re­noue avec le principe de De­vay – ar­gent personnel et d’amis. Douze an­nées se sont écoulées depuis, Le mon­de a changé. La gé­nération Int­ernet est apparue. « France-Soir » et « La Tribune » ont disparu. La presse écrite ne vit plus que de subventions, de publicité et d’aides pu­bliques. Au milieu de ce naufrage, « Minute » tient bon. Grâ­ce à VOUS amis lecteurs et SEULEMENT à vous. Sa seule ri­chesse. Auxquels il doit la vérité. Et sa liberté. Comme depuis cinquante ans. Oui, chers lec­teurs, « Minute » n’est rien sans vous. Ne l’oubliez pas. Soutenez-le. Pour qu’en 2062, « Mi­nute » et nos descendants fêtent ses cent ans.   

Thierry Normand


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  • Publié dans le numéro : 2559

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