Le maire de Bordeaux a lancé sa campagne pour la primaire sans attendre le résultat des élections régionales. Pour l’heure, il s’appuie surtout sur des réseaux centristes. Comme s’il s’était déjà résolu à ne pas devoir compter sur sa propre famille.

Est-ce d’avoir atteint la barre des 70 ans qui le fait piaffer d’impatience ? Est-ce la volonté de ne pas laisser la main au président des Républicains et ancien président de la République Nicolas Sarkozy ? En lançant ses comités de soutien dès octobre 2015, soit un an avant la primaire et un an et demi avant l’échéance présidentielle, Alain Juppé, favori des médias, prend le risque d’être taxé de fébrilité. Disons qu’il est seulement prévoyant et décidé à mener une course de fond… en dehors de sa famille politique. Car s’il est soutenu très activement par quelques personnalités énarques issus des rangs Républicains comme le député de Savoie Hervé Gaymard ou le député-maire du Havre, Edouard Philippe, son démarrage anticipé confirme dans les faits son ancrage au centre.
Ainsi voit-on de nombreux centristes issus de l’UDI ou du MoDem se rallier à la bannière de Juppé et commencer à animer des comités de soutien locaux. C’est le cas dans la Marne, par le biais du député UDI Charles de Courson, ou à Rouen, avec l’ancien maire UDF de Rouen Pierre Albertini, soutien de François Bayrou lors de l’élection présidentielle de 2012. « Faute de troupe, Juppé a été obligé de remuer les fonds de tiroir centristes pour faire bonne figure », raille-t-on sans les rangs sarkozistes.

Il a déjà renié ce qu’il a fait de mieux !
Il y a néanmoins des raisons idéologiques. Elles sont bien résumées par les sorties de Juppé en faveur du Coran – a-t-il trouvé le temps de le lire ? –, contre Eric Zemmour ou contre Alain Finkielkraut. Il a aussi publiquement renié le programme d’union RPR-UDF de 1990, pourtant préfacé par Alain Madelin… et lui-même ! Il y avait pourtant de très bonnes choses : il comprenait des préconisations extrêmement fermes sur l’immigration, avec la bénédiction de Jacques Chirac et de Valéry Giscard d’Estaing.
Cette volte-face de Juppé, un quart de siècle plus tard il est vrai, est symptomatique de son incompréhension (son refus ?) de la droitisation de l’opinion publique. Quant à Hervé Gaymard, chargé de l’élaboration de son programme, il vient de signer un livre nostalgique sur les grands jours de liesse populaire en France. Alors que le pays est plongé en pleine dépression…
Puisque l’on évoquait Alain Madelin, certains ont été surpris de voir le retour dans les coulisses juppéistes de certains responsables jeunes du candidat libéral à l’élection présidentielle de 2002 (avec un mémorable résultat de 3,91 % à la clef…), comme Marie Guévenou, première présidente des Jeunes populaires de l’UMP avant d’être évincée par les fidèles de Sarkozy. Elle est chargée de la levée de fonds au profit du micro-parti de Juppé.

Même chez les losers, difficile de faire le plein
Au sein de l’UDI, on assiste à une sourde lutte interne entre les libéraux du Nouveau Centre et l’axe qui va des amis franciliens de Jean-Christophe Lagarde (président social-démocrate de l’UDI) au Parti radical de Laurent Hénart. Les chefs de file du Nouveau Centre, l’ancien ministre de la Défense Hervé Morin et le président du groupe UDI à l’Assemblée nationale, Philippe Vigier, ont été adoubés par Nicolas Sarkozy dans les régions Normandie et Centre et devraient les présider. Ils n’ont pas supporté la façon dont Lagarde a battu Morin dans le cadre de l’élection interne de l’UDI. Ils pourraient soutenir Sarkozy sans sourciller lors de la primaire.
Jean-Christophe Lagarde attend, lui, le printemps pour arrêter une position, se retranchant derrière la consultation à venir des militants UDI. Son ancien allié, le radical Yves Jego, vient de rallier sans coup férir la candidature de Bruno Le Maire à la primaire. « Bref, c’est le bordel complet, plus personne ne parle à personne rue des Volontaires » (NDLR : siège de l’UDI) ! « Sans compter les histoires de gros sous… » nous confie un permanent du parti.
N’oublions pas non plus le soutien apporté par le président du MoDem et maire de Pau, François Bayrou, à la candidature d’Alain Juppé à la primaire même si le MoDem se refuse d’être tenu par le résultat de celle-ci, ce qui signifie en clair que François Bayrou se réserve le droit de se présenter quoi qu’il arrive et surtout si c’est Nicolas Sarkozy qui sort vainqueur. Dans la nouvelle grande région Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes, dans les Pyrénées-Atlantiques notamment, le MoDem sera très bien représenté sur la liste des Républicains. Cela ne devrait pas empêcher, loin de là, la gauche de repasser.
Alain Juppé marcherait-il dans les traces d’Edouard Balladur, issu du RPR et soutenu par le centre de l’époque, l’UDF, qui ne présentait pas de candidat à l’élection présidentielle en 1995 ? Donné vainqueur fin 1994, par la presse et les commentateurs officiels, de la primaire que constituait alors son premier tour face à Jacques Chirac, il fut battu par ce dernier avec 18,58 % contre 20,84 % au patron du RPR. Charles Pasqua et Nicolas Sarkozy soutenaient… Balladur. Alain Juppé, Philippe Séguin et Charles Millon préféraient… Jacques Chirac.
Sarkozy, condamné alors au purgatoire, n’a pas oublié la leçon ! Juppé, qui n’a connu que l’euphorie de la victoire de son champion, semble amnésique quant à cet épisode pourtant édifiant.   
Lionel Humbert