Le parquet de Compiègne a ouvert une enquête après la mise en ligne sur Internet d’une vidéo présentant le trafic de drogue comme un négoce fructueux. Problème : la municipalité UMP de la ville a fourni les conditions de l’enregistrement…
Le rappeur Papiss ne sait peut-être pas comment on traduit en verlan ou en argot des cités l’expression latine « la roche tarpéienne est près du Capitole », mais elle pourrait bien s’appliquer à son cas. Son histoire était pourtant bien partie : mis en ligne depuis le début du mois de février, son clip, intitulé Mes négros, « fait le buzz » et a déjà été vu par plus de 40 000 personnes.
Le clip a été tourné au Clos-des-Roses, à Compiègne, avec la participation d’une centaine de jeunes de la Cité et d’autres quartiers de la ville. Le tournage avait même fait l’objet d’un reportage dans le « Courrier picard », signé par Julien Barbare – ça ne s’invente pas. Le rappeur de 19 ans y expliquait qu’il voulait « être un artiste » et que cette première vidéo avait pour but de le « faire connaître, que les gens voient que ce qu’on fait, c’est du sérieux ». Philanthrope, il ajoutait : « C’est aussi pour le quartier, pas que pour moi. Il y a beaucoup de talents cachés un peu partout, qui n’osent pas s’afficher. »
« 3 kg, c’est pas assez négro ! »
S’il s’agit des talents mis en scène dans son clip, ce n’est pas très étonnant. En fait de Clos-des-Roses, c’est plutôt du Clos-des-Pavots qu’il faudrait parler. Rodéos à motos, sacs de drogue et liasses de billets, jeunes vêtus de tee-shirts frappés du sigle « Virus mafia », visages dissimulés sous des masques représentant une tête de mort, pistolets brandis : on nage en pleine euphorie…
Et les paroles de la chanson accompagnent joliment les images : « D’où je viens, ouah, c’est trop chaud / J’ai d’la pure, c’est d’la coco / 60 eu le gramme le taro / J’roule un joint, j’le fume solo […] J’sais qu’les keufs nous prennent en photo / mais on fait quand même des euros. » Image de Papiss tirant en l’air au pistolet : « Virus mafia, nous c’est Virus mafia […] 3 kg, c’est pas assez négro, on t’allume ta mère sur le taro. »
Allez savoir pourquoi, le parquet de Compiègne, pas très « cool », s’en est ému et a ouvert une enquête contre Papiss pour infractions à la circulation (les rodéos) et incitations à l’usage des stupéfiants (le reste du clip).
Les administrés font de leur mieux pour accroître la prospérité du pays
La mairie de Compiègne pique du nez : le studio où a enregistré Papiss lui appartient… Pour le maire, le sénateur UMP Philippe Marini, inspecteur des finances en retraite, ça la fiche un peu mal ! En juin 2014, président de la commission des finances du Sénat, il avait proposé d’intégrer les activités liées au trafic de drogue (et à la prostitution) dans le calcul du produit intérieur brut, autrement dit de la création de richesse nationale. Ses administrés font de leur mieux pour accroître la prospérité du pays.
Papiss pourra évidemment se retrancher derrière la liberté d’expression artistique : son clip est d’ailleurs une reprise d’une chanson (si l’on peut dire…) du rappeur américain O.T. Genasis, dont le contenu était assez similaire. Il n’est pas sûr que l’argument suffise à convaincre le parquet.
Lors du tournage, un gamin de la cité avait expliqué au journaliste du « Courrier picard » qu « à cause d’une minorité, les gens ont une mauvaise image des quartiers ». L’on peut douter que ce genre de vidéo contribue à l’améliorer.
Henri Langeau
