Jean-Marie Le Pen a fondé le Front national le 5 octobre 1972, dans le but de bâtir une grande formation patriotique capable de s’inscrire dans le long terme. Après 40 ans de lutte politique, il revient pour « Minute » sur ce pari réussi.
Minute : Auriez-vous imaginé, en créant le Front national, qu’il existerait toujours 40 plus tard ?
Jean-Marie Le Pen : L’idée du Front national – soit le fait de créer une formation nationale-patriotique distincte des gaullistes et des modérés – me trottait dans la tête depuis 1957, époque où je m’étais séparé de Pierre Poujade. J’ai d’abord fondé, avec Demarquet, le Front national des combattants, dissous en mai 58 par le gouvernement. J’ai ensuite créé le Front national combattant, dissous par le gouvernement en 1960 ; puis le Front national pour l’Algérie française, dissous lors du « putsch des généraux » en 1961. Ensuite, j’ai lancé le Comité Tixier-Vignancour, avec pour objectif de créer le Front national. Hélas, Tixier nous a trahi pour une place offerte par Jean Lecanuet, ce qui nous a coupé l’herbe sous le pied.
En 1972, alors que je m’étais éloigné de la politique, et que je gagnais ma vie comme éditeur phonographique – et comme directeur de la publicité pour « Minute » ! –, j’ai été sollicité pour diriger une nouvelle formation : le Front national. Je me souviens avoir accepté en précisant que si je revenais dans l’aventure politique, cette fois, je ne m’arrêterai pas. J’ai juré d’aller jusqu’au bout. Donc pour répondre à votre question, j’espérais bien voir le Front national fêter un jour son quarantième anniversaire !
Les conditions de départ semblaient assez défavorables…
Absolument. Bien qu’ayant une certaine notoriété pour avoir été un jeune député parti combattre en Algérie, il me fallait, à cette époque, me faire reconnaître par la classe politique. Je me suis donc présenté à l’élection présidentielle en 1974 et j’ai obtenu 0,74 % des voix. L’extrême droite et nombre d’anciens partisans de l’Algérie française – Pierre Lagaillarde, Pierre Sergent, Alain Robert, secrétaire général d’Ordre Nouveau – étant partis faire campagne pour Valéry Giscard d’Estaing !
C’est ce qu’on a appelé la traversée du désert…
Et le plus souvent, nous traînions le chameau derrière nous, quand il ne fallait pas le porter sur nos épaules ! Cela a duré pratiquement dix ans, les premières hirondelles du printemps ne se manifestant qu’en 1983. A Paris, en mars, j’ai été élu conseiller municipal du XXe arrondissement. A une législative partielle, dans mon pays de La Trinité-sur-Mer, en Bretagne, j’ai fait 12 %. Et à Dreux, en septembre, Jean-Pierre Stirbois a confirmé cette poussée en atteignant 16 %. L’attention des médias a été attirée vers ce qu’ils appelaient « l’extrême droite ». En 1984, nous avons eu 10 députés aux élections européennes ; puis 35 députés aux législatives de 1986 ; et 14 % à l’élection présidentielle ! A partir de là, le mouvement était lancé et ce fut le début de la longue marche que vous connaissez…
En 40 ans de compagnonnage, quelles sont les figures auxquelles vous repensez avec émotion ?
Je pense d’abord à ceux qui sont morts, comme François Duprat, qui fut membre du bureau politique du FN. Donner sa vie dans un combat politique, ce n’est pas si courant…
Je pense aussi aux officiers du 1er REP dissous, dont la plupart ont été, à un moment ou un autre, membres du Front national. Je pense à Jean-Pierre Stirbois, mort tragiquement. Je pense aux amis de toujours, comme Alain Jamet ou Bruno Gollnisch, heureusement bien vivants, et qui sont restés fidèles au mouvement malgré, parfois, quelques divergences. Quant aux autres, disait Rutebeuf, ce sont « amis que vent emporte / et il ventait devant ma porte… »
Avez-vous pu vous réconcilier avec François Brigneau, récemment décédé ?
Brigneau se voulait journaliste et non homme politique, mais il intervenait souvent dans la chose publique. Et si nous fûmes amis, les ruptures qui sont intervenues entre lui et moi étaient de nature politique. C’était un Breton comme moi, têtu, un peu anarchiste. Il était contre ceux qui dirigeaient. Il rejetait toute forme d’autorité. Et je n’avais pas créé le parti qu’il souhaitait – parti qu’il ne voulait pas non plus fonder…
Et Roger Holeindre, qui vous a accompagné jusqu’à votre départ de la présidence du Front national ?
Roger a été un fidèle compagnon. Il était chargé des anciens combattants au Front national. Je n’ai pas trop compris pourquoi il nous a quittés après le congrès de Tours, en janvier 2011. Je lui garde mon affection, nous pourrions encore nous voir malgré ce que je dois bien considérer comme une désertion – car moi, je suis toujours dans le combat politique, aux côtés de Marine Le Pen ! Par conséquent, je suis avant tout un militant, solidaire des options et des actions du Front national, et ce, même si je suis parfois en désaccord sur certains sujets…
Comme ?
C’est sans importance. Ce que je veux dire, c’est que je reproche un peu à Roger Holeindre de ne pas en avoir fait autant. Il est bien normal, dans un grand mouvement comme le Front national, d’avoir des divergences. Si on le quitte dès que l’on est en désaccord avec une personne ou un élément de doctrine, alors un parti politique sérieux n’a aucune chance d’exister ! Il faut accepter un minimum de concessions, surtout dans un pays comme la France. Ce qui justifie les compromis, c’est d’être d’accord sur l’essentiel. Ensuite, on peut diverger sur la peine de mort, l’homosexualité et discuter du sexe des anges autour de tel ou tel point d’actualité… En revanche, il y a des questions fondamentales comme l’euromondialisme, l’immigration massive, la criminalité galopante, sur lesquelles on ne peut pas transiger.
Quel a été le rôle, selon vous, du FN durant presque un demi-siècle d’action politique ?
Le Front national a fait ce qu’il a pu ! Et ce, face à un univers médiatico-politique totalement adverse.
A part quelques soutiens occasionnels dans certaines franges de l’opinion catholique ou dans les milieux ouvriers, nous n’avions pas d’alliés. On peut dire que l’Etablissement – universitaire, religieux, syndical, financier, politique – nous a témoigné une hostilité constante et violente. Une persécution qui ne se limitait pas aux chefs du Front national, mais qui descendait dans toutes les couches de la société civile. Combien de militants ont-ils été brimés, humiliés, contraints de vivre leur engagement dans une semi-clandestinité ? Des candidats FN ont été agressés, leurs maisons dégradées, leurs enfants refusés dans les écoles – soi-disant pour des raisons de sécurité !
Cela s’est fait sous la pression d’un cerbère particulièrement vigilant, qui fut le Parti communiste, puis ses épigones trotskystes et « antiracistes. » Malgré de durs revers électoraux, le gauchisme en général est resté puissant dans les relais d’opinion et parvient encore à faire passer ses mots d’ordre contre les patriotes. Ce faisant, il est cocasse de noter que ces militants gauchistes se font les alliés objectifs de la finance internationale. Il est vrai, après tout, qu’« altermondialiste », cela veut dire « mondialiste quand même » !
Comment expliquer l’impossibilité de la droite conventionnelle et la droite nationale à s’unir ou même à coopérer sur des opérations ponctuelles ?
Les chefs de la droite molle ont, je crois, signé un pacte dans lequel ils s’engageaient à ne jamais s’unir avec le Front national. Il se dit que c’est le B’nai B’rith, une sorte de franc-maçonnerie juive, qui aurait imposé cette clause. D’ailleurs, je crois que certains représentants de l’ancien RPR se sont vantés de ce pacte qu’aurait notamment signé l’abominable Chirac.
Il y a quelque chose d’incompréhensible, d’absurde, je dirais même de criminel, dans cet engagement des modéro-gaullistes à ne jamais s’allier avec le Front national. Car, ce faisant, non seulement ils ont accepté de perdre toutes les élections, mais le pire, c’est que ce fut pour faire passer la gauche et l’extrême gauche !
Souhaitez-vous l’union des droites ?
Je ne la souhaite que dans la mesure où cela sert à mener une politique concrète et bénéfique pour la France. Mais encore faut-il qu’il y ait des points de convergence. On ne peut pas unir une UMP soumise à l’Europe de Bruxelles avec un Front national qui entend faire échapper notre pays au diktat mondialiste. Cela étant, dans des situations de tragédie nationale, dans des circonstances de salut public, il n’est pas impossible d’imaginer des actions communes. Sur le plan local, on peut aussi envisager que des candidats d’une droite de conviction reçoivent le soutien ponctuel du Front national. Mais encore faudrait-il que cela soit réciproque !
Qui pourriez-vous soutenir ?
Question difficile ! Je vais vous donner mon sentiment profond sur la grande décadence qui frappe notre pays : je suis persuadé que le principal responsable en est la « droite ». Car cette pseudo-droite n’applique ni sa doctrine, ni son programme, quand elle est au pouvoir. Elle joue à être la gauche.
Par exemple ?
Prenons l’immigration. En ce moment, la droite, revenue dans l’opposition, s’agite pour combattre le droit de vote des immigrés – ce qui constitue effectivement une grande menace pour notre pays… Mais ce n’est pas réellement pire que les 750 000 naturalisations réalisées sous Nicolas Sarkozy !
J’ajoute que, pour se différencier de cette fausse droite, la gauche doit encore se radicaliser – ce qui est grave, car la gauche, elle, assume parfaitement ses opinions et va jusqu’au bout de ses projets.
Quels sont les nouveaux défis du FN ?
Arriver au pouvoir. Avant qu’il ne soit trop tard. C’était déjà le thème de la première affiche du Front national, il y a 40 ans. Hélas, l’aiguille a tourné sur la pendule et nous nous rapprochons dangereusement des échéances dramatiques.
Etes-vous favorable à un changement de nom du Front national ?
J’y suis résolument hostile ! Seule une maison en faillite change de nom. Est-ce que le champagne Mumm a changé de nom ? Est-ce que Pernod-Ricard, Mercedes ou Ferrari changent de nom ? Ce sont des gens extérieurs au Front national qui proclament cette idée idiote, pour se faciliter les choses. D’un point de vue « marketing », le Front national est une marque extraordinaire. Mais en outre, un parti, ce n’est pas qu’une étiquette, c’est aussi une histoire, faite de chair et de sang, d’hommes et de femmes qui ont souvent consenti de grands sacrifices personnels, professionnels, familiaux, financiers… Ces militants ont un droit sur le Front national et nous devons en tenir compte. Ils ont payé cher le droit de donner leur avis.
Quarante ans après la création du Front national, quelles conclusions tirez-vous de votre engagement politique ?
J’ai connu des succès, des échecs, mais j’ai maintenu. Quand on dirige un mouvement dont les militants n’ont à attendre que des coups, c’est plus difficile que dans un parti qui distribue des prébendes à tour de bras…
Si j’ai un peu droit à la reconnaissance, c’est pour avoir assuré la pérennité du Front national et rassemblé une droite nationale éparse et désorganisée. J’ai eu la volonté têtue, bretonne, de maintenir ce courant populaire dans un cadre politique puissant et institutionnel. Nous y sommes parvenus avec des hauts – quelques jolis succès, des prises de conscience nationale sur des thèmes comme l’immigration, le mondialisme – et des bas – des scissions, des trahisons et un accident politique très grave en 2007, qui a failli nous emporter… Je crois que c’est mon mérite personnel d’avoir tenu bon à travers vents et marées et – pour détourner un peu Cyrano – je me le sers moi-même avec assez de verve, car sinon, nul autre ne le fera ! La devise du 3e RPIMA est « Etre et durer » : bien qu’ayant servi au 1er REP, j’ai tenté de l’appliquer à la politique. Et puisque nous en sommes aux commémorations – et malgré quelques divergences passées ! – je félicite « Minute » qui fête ses 50 ans cette année en ayant, comme nous, maintenu vaille que vaille.
Propos recueillis par Patrick Cousteau