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Entretien avec le docteur Jean-Pierre de Mondenard « La commission d’enquête du Sénat est une mascarade ! »

Le docteur Jean-Pierre de Mondenard est un historien du cyclisme et son dernier ouvrage, Les Grandes Premières du Tour de France, vaut le détour. C’est aussi un des plus grands spécialistes mondiaux de la lutte contre le dopage. A ce titre, il a été entendu par la commission d’enquête « sur l’efficacité de la lutte contre le dopage », lancée en février par le Sénat. En exclusivité pour « Minute », il nous explique comment certains sports, comme le tennis, passent à travers les mailles du filet, et pourquoi la commission sénatoriale le laisse perplexe.

Minute : Devant le Sénat, Francesco Ricci Bitti, président de la fédération internationale de tennis, a expliqué que le tennis étant un sport d’adresse, il n’était pas touché par le dopage ?

Jean-Pierre de Mondenard : Com­me argument, c’est affligeant ; c’est prendre les gens pour des imbéciles. Le tennis est un sport très physi­que, les joueurs font de la musculation, et quand ils restent cinq heu­res sur un court, ce sont les qualités physiques qui finissent par faire la différence. L’alibi d’un sport d’a­dresse est bidon.
Regardez aux Etats-Unis. Le basket-ball, c’est un sport d’adresse et ils sont tous dopés ; le base-ball, c’est un sport d’adresse et ils sont tous dopés…
Les déclarations du président de la fédération internationale de tennis démontrent, une nouvelle fois, que les dirigeants du sport n’ont au­cune volonté de lutter contre le dopage. Ils font juste semblant, pour donner l’illusion…

Est-ce pour cela que l’AFLD (Agence française de lutte contre le dopage) n’a pas le droit de mettre les pieds à Roland-Garros ?
L’action de cette agence « indépendante » est limitée. Elle s’arrête là où commence le droit des gran­des fédérations internationales : la fédération de tennis, la fédération de football, la fédération de sport au­tomobile, qui cautionnent des évé­nements comme Roland-Garros, la Coupe du monde de foot, les grands prix de F1, et qui génèrent des centaines de millions d’euros de chiffre d’affaires. Pas question de tuer la poule aux œufs d’or.
Alors ces fédérations ont verrouill­é le système : personne n’a le droit de mettre son nez dans leurs af­faires, les contrôles et les sanctions restent à leur discrétion. Leur d­emander de s’occuper des histoi­res de dopage, c’est leur demander de se tirer une balle dans le pied ; alors elles tirent à côté.

Les contrôles inopinés Francesco Ricci Bitti avance pourtant que sa fédération diligente plus de 200 contrôles à Roland-Garros ?

Mais faire des contrôles sur les fi­nalistes de Roland-Garros, c’est per­dre son temps ! Faire des con­trôles sur les demi-finalistes, c’est per­dre son temps. Pourquoi ?
Les joueurs qui se dopent sont des pros du dopage, qui suivent un programme annuel qui tient compte des échéances. Ils savent qu’à un certain stade de la compétition, ils vont être contrôlés ; donc ils ont gé­ré leur programme de dopage en con­séquence, pour être négatif ce jour-là.
Les seuls contrôles qui permettent d’épingler les tricheurs, ce sont les contrôles inopinés, quand les sportifs sont en phase de préparation. Tout le reste c’est de la foutaise, c’est de l’argent foutu en l’air.

En tant qu’expert, vous avez été convoqué par la commission d’enquête du Sénat. Vous étiez dans quel état d’esprit ?

J’ai reçu une lettre du Sénat m’in­formant que j’étais convoqué pour être auditionné devant la com­mis­sion d’enquête. Je n’avais pas envie d’y aller, parce que je sais d’avance comment se termine ce genre d’histoire : quand on veut enterrer un problème, on fait une commission…
J’ai donc traîné des pieds. Je leur ai rappelé que j’étais un médecin li­béral toujours en exercice ; je leur ai indiqué que j’allais paumer quatre heures ; je leur ai demandé qui allait m’indemniser… Ils m’ont répondu que je n’avais pas le choix, que c’é­tait obligatoire, et que je risquais une amende de 7 000 euros en cas de défection. Le 14 mars, j’ai donc répondu présent.

Et alors, ça vaut le coup ?

On doit prêter serment, jurer de ne dire que la vérité, rien que la vé­rité ! Comme devant le grand jury américain… Sauf qu’aux Etats-Unis, si vous mentez, vous risquez de vous retrouver en taule  ! Alors qu’au Sé­nat…
J’ai suivi les auditions de certains acteurs et témoins de la lutte contre le dopage, et je peux vous le dire, beaucoup d’entre eux ont men­ti à 90 % ! Pourtant, ils ne se­ront pas poursuivis… J’aimerais que cette commission ne soit pas une mascarade, mais au final j’ai le sentiment que c’est une mascarade.
Et que pensez-vous des sénateurs qui composent cette commission ?

Ecoutez, je vous livre une anecdote. Il y a une quinzaine de jours, à Vichy, j’étais invité à une table ron­de sur le Tour de France à la­quelle participait un sénateur du Puy-de-Dôme, Alain Néri, mem­bre de la fameuse commission. Il nous a rapporté que récemment, avec une délégation du Sénat, il avait fait un voyage aux Etats-Unis, pour notamment s’entretenir avec les responsables de l’Usada, l’agence américaine de lutte contre le do­page.
Et là, il raconte qu’il a appris l’existence d’un nouveau produit do­pant, les stéroïdes « designer », des stéroïdes modifiés, indécelables dans les contrôles. Mais l’existence de ces stéroïdes « designer » a été révélée aux Etats-Unis quand le scandale du laboratoire Balco a éclaté, en… 2 003 ! Le sénateur était ainsi tout content de nous livrer un scoop vieux de dix ans ! Accablant.
Aux frais de la princesse, des gens qui ne savent même pas ce qu’est une molécule se voient con­fier des missions pour évaluer l’efficacité de la lutte contre le dopage. Je crois rêver.


propos recueillis par Pierre Tanger

Les Grandes Premières du Tour de France, par Jean-Pierre de Mondenard, éditions Hugo Sport, 208 pages, 16,95 euros.


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