De notre envoyé spécial à Ecos (Eure)
Intime de François Hollande, le secrétaire général de l’Elysée et son épouse synthétisent l’esprit notable de province et celui de la grande bourgeoisie parisienne. Ce qui convient très bien à François Fillon.
Ce 10 novembre 2014 au matin, les rayons du beau soleil d’automne ne parviennent pas à réchauffer les murs de briques et de pierres du petit bourg d’Ecos, 1 000 habitants, dans l’Eure. Les feuilles des vignes vierges virent au rouge. Les rues sont désertes, comme souvent dans les villages du Vexin normand. On devine quelques belles résidences secondaires flanquées de terrains de tennis. On est ici à une heure à peine en voiture des beaux quartiers de la capitale. Nous nous trouvons sur l’exacte frontière entre les terres du roi de France et celles du duc de Normandie. Fermes fortifiées et donjons médiévaux jalonnent encore les alentours. L’unique bar n’a pas de nom. On y lit « Paris Normandie » et l’hebdomadaire local, « L’Impartial ».
Michel Jouyet avait parrainé Le Pen
Ecos, c’est le fief de la famille de Jean-Pierre Jouyet, secrétaire général de l’Elysée aujourd’hui accusé d’avoir menti sur le contenu de ses échanges avec François Fillon. Paul Jouyet, son père, notable gaulliste et notaire à Ecos, a été conseiller général UDR puis RPR de l’Eure entre 1973 et 1979. Michel Jouyet, frère de Jean-Pierre, qui a repris l’étude notariale familiale, est conseiller général (RPR puis UMP) du canton d’Ecos depuis 1992 et maire de la commune depuis 2008. En 2002, il a donné sa signature de conseiller général à Jean-Marie Le Pen pour parrainer le président du Front national à l’élection présidentielle. En 2007, pour contrebalancer la chose, il signera pour le trotskiste de la LCR Olivier Besancenot et, en 2012, pour un autre trotskiste, Philippe Poutou, candidat du NPA.
Michel Jouyet demeure proche de son frère : c’est à la demande de ce dernier que le cabinet notarial familial établira en 1990 les statuts de la SCI La Sapinière appartenant au couple de concubins Hollande-Royal, aux temps désormais anciens où le président de la République et le ministre de l’Environnement vivaient encore ensemble.
Car le grand homme de la famille Jouyet, c’est Jean-Pierre, 60 ans, ami intime de François Hollande. Ils se sont connus en 1980, lors de leur service militaire d’énarques de la fameuse promotion Voltaire. Plus brillant qu’Hollande, Jean-Pierre Jouyet en sort inspecteur des Finances. Il sera le collaborateur de Jacques Delors à Bruxelles puis de Lionel Jospin à Matignon. Ces postes révèlent sa vraie nature politique : ce fils de gaulliste est un chrétien de gauche (il est catholique) acquis à la social-démocratie, même s’il n’est pas membre du Parti socialiste. Pourtant, avec la bénédiction de son ami François Hollande, il accepte d’être un éphémère secrétaire d’Etat aux Affaires européennes entre 2007 et 2008 pour le compte de Nicolas Sarkozy, dans le gouvernement de François Fillon.
Les week-ends de François Hollande
En secondes noces, Jean-Pierre Jouyet est marié à Brigitte Taittinger, petite fille de Pierre Taittinger, le chef des Jeunesses Patriotes et président du Conseil municipal de Paris pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle est la nièce de Pierre-Christian Taittinger, ancien maire du XVIe arrondissement de Paris et la cousine germaine de Christophe de Margerie, le p-dg de Total qui vient de mourir dans un accident d’avion à Moscou.
Brigitte Taittinger a été mariée en premières noces au comte Nicolas de Warren, lui aussi énarque (et directeur des relations institutionnelles du groupe chimiste Arkema), avec qui elle a eu cinq enfants avant de divorcer. Elle a gardé le vaste appartement de la rue Raynouard, située non loin de la Maison de la Radio, près de la maison de Balzac. Jusqu’en 2012, cette riche héritière rémoise fut p-dg des parfums Annick Goutal. Elle est désormais directrice de la stratégie de Sciences Po…
On reçoit beaucoup chez les Taittinger. On aime beaucoup le jeune Emmanuel Macron, que Jouyet se vante (autant que Jacques Attali) d’avoir fait ministre de l’Economie et des Finances. On reçoit le week-end à la campagne, en toute intimité, le président François Hollande, à qui on a remonté le moral après sa séparation d’avec Ségolène Royal comme après celle d’avec Valérie Trierweiler. S’il y a des intimes de François Hollande aujourd’hui, de l’avis de tous les fins connaisseurs de l’Elysée, c’est bien le couple Jouyet. La Normandie rapproche les deux hommes comme le goût immodéré du football.
Ce que révèle l’affaire Jouyet, plus encore que l’irresponsabilité d’un grand commis de l’Etat, c’est que le PS n’a de socialiste que le nom. Ce que reprochait François Hollande à Nicolas Sarkozy, d’être le président des riches, il l’est tout autant. Il l’affiche moins, c’est tout. Le couple Jouyet-Taittinger est le révélateur d’une photographie effarante des mœurs de nos gouvernants.
Le Vexin s’anime doucement en cette belle veille de 11-Novembre.
Demain, devant le monument au mort d’Ecos, Michel Jouyet égrènera le nom des morts pour la France. Après le vin d’honneur, peut-être son frère et sa belle-sœur viendront-ils déjeuner chez lui. C’est Marcel Proust qui aurait pu écrire de fort belles pages sur cette légèreté d’une bourgeoisie pour qui le pouvoir est devenu plus qu’une passion, une habitude.
Pascal Poumeau