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La bombe estivale d’Aymeric Chauprade

Quel avenir pour la « doctrine Chauprade » ? C’est maintenant la question qui se pose au Front national,
et singulièrement à Marine Le Pen, après que le géopoliticien, qui est son conseiller, a publié un texte qui a fait l’effet d’une bombe. Il y décline tout ce qui devrait constituer la politique étrangère de la France. Or pour le moment, ce qu’il avance n’est pas la doctrine du Front national.

A trois mois du XVe congrès du Front national, qui se tien­dra les 29 et 30 novembre à Lyon et s’annonçait sans enjeu majeur, Aymeric Chauprade vient de frapper un grand coup qui a, entre autres mérites, celui de poser les véritables questions de fond, celles qui fâchent et que le Front national, qui rechignait à les traiter frontalement, va bien devoir trancher s’il veut accéder au pouvoir.
Le 11 août, au jour anniversaire de la bataille des Thermopyles qui, en 480 av. J.-C., vit les Spartiates commandés par le roi Léonidas se sacrifier pour donner aux Grecs le temps de s’organiser face à l’avancée perse qui allait les submerger, au jour anniversaire, aussi, de la canonisation de Louis IX devenu saint Louis, Aymeric Chauprade, député au Parlement européen et conseiller de Marine Le Pen pour les affaires internationales, a publié un long manifeste.
Certes, sa publication est intervenue sur son blog personnel (1) et n’engage pas le Front national. Certes, le texte est simplement titré : « La France face à la question islamique : les choix crédibles pour un avenir français ». Mais il est déjà perçu comme un « Manifeste pour une nouvelle politique internationale de la France », en rupture totale avec la diplomatie de François Hollande, avec celle de son prédécesseur… et avec la ligne non dénuée d’arrière-pensées d’une partie du Front national, de ses compagnons de route et de certains conseillers occultes de sa présidente.

Si l’« ennemi mondialiste » est « imaginaire »…
Que dit Chauprade ? Enormément de choses. Il en dit tellement que, dans les réactions qui se multiplient dans les milieux de la droite nationale ou de l’extrême droite, il apparaît que chacun n’y a vu que ce qu’il voulait y lire – ou plutôt ce qu’il aurait préféré ne pas y lire, tant les réactions sont vi­ves, voire insultantes. Dans la mouvance d’Egalité et Réconciliation, le mouvement d’Alain Soral dont l’influence est importante sur une partie des cadres du Front national (et au-de­là), les mots de « traître » et de « ven­du » sont employés.
En adepte du théoricien et philoso­phe catholique allemand Carl Schmitt, Chauprade fait sienne la notion d’ennemi prioritaire. « La France, écrit-il, n’a aujourd’hui qu’un véritable ennemi : le fondamentalisme islamique sunnite. » En vertu de quoi il affirme ceci, écrit en caractères gras : « A moins donc qu’il ne soit gouverné par un antisémitisme obsessionnel, un patriote français ne peut chercher à former, contre Israël, et avec l’extrême gauche pro-palestinienne, la racaille de banlieue et les islamistes une alliance à la fois contre-nature et sans issue politique. »
Evidence pour l’électeur frontiste de base, direz-vous, mais pas pour une partie – en voie de réduction mais toujours influente – de l’appareil frontiste, qui persiste d’une part à croire à la possibilité, pour Marine Le Pen, de s’attirer le vote musulman, d’autre part à tenir le « sionisme » pour la source de tous les maux, camouflant (mal) derrière ce vocable au sens mystérieux un antisémitisme en effet « obsessionnel ».
Sur ce même thème, Chauprade va encore plus loin, rompant cette fois, sans prendre de gants, avec la li­gne défendue, par exemple, par le vice-président du FN Florian Philippot, se démarquant aussi clairement avec la ligne de Jean-Yves Le Gallou, le très écouté président du laboratoire d’idées Polémia (lequel n’a pas encore réagi) : « Un vrai patriote français doit être capable de hiérarchiser les dangers qui menacent la France, de refuser l’idéologie et les constructions intellectuelles simplistes lui désignant un ennemi mondialiste imaginaire contre lequel il faudrait mener une révolution mondiale. »
Or si le mondialisme est un enne­mi « imaginaire », c’est tout un pan, et pas le moindre, de la doctrine frontiste qui est à repenser. Y compris et d’a­bord le plus contesté : son volet économique.

Allez buter les djihadistes français en Syrie !
Mais Chauprade va encore beaucoup plus loin. Il en appelle à l’élimination physique, par les services fran­çais, des djihadistes… français partis combattre en Syrie (ou ailleurs). Citant l’expression qu’avait utilisée Vladimir Poutine au sujet de la Tchétchénie (« Il faut butter les terroristes jusque dans les chiottes »), il écrit : « Nous savons que près de 1000 djihadistes disposant de la nationalité française sont partis combattre en Syrie et en Irak et que beaucoup ont rallié le califat islamique. Nous ne devons pas les considérer comme des égarés mais comme des ennemis qui reviendront bientôt en France, forts de leur expérience militaire, l’esprit affranchi de toute limite après les exactions commises (viols, tortures, décapitations). Nous devons les éliminer in situ et ce devrait être le rôle de nos services spéciaux de s’en occuper dès maintenant. Nous ne pouvons prendre le risque d’attendre qu’ils reviennent. Arrêtés et emprisonnés en France ils seront de puissants moteurs de conversion à l’islam dans les prisons et donc un facteur supplémentaire de propagation du fondamentalisme islamique dans notre pays. Il revient la responsabilité à chaque nation européenne (France, Royaume-Uni…) d’éliminer ses ressortissants djihadistes avant qu’ils ne reviennent. »
Dans l’engourdissement de la fraîcheur estivale, ce passage a été le moins commenté, alors qu’il est sans conteste le plus « choquant », l’appel public à l’assassinat de citoyens français n’étant pas précisément dans les mœurs et la pratique étant étrangère (officiellement) aux services français, y compris en temps de guerre. Jamais le ministère de la Défense n’a reconnu avoir commis de tels actes, y compris durant la guerre d’Algérie. Le silence général est d’autant plus étonnant que, ce même 11 août, dans un communiqué officiel du FN cette fois, Chauprade avait émis le même souhait, mais en termes plus policés, parlant de mettre les djihadistes français « hors d’état de nuire ».

« Français de souche » et « Grand Remplacement »
Et Chauprade continue, emboîtant maintenant les pas de l’écrivain Renaud Camus, le théoricien du Grand Remplacement, notion selon laquelle une substitution de population est en cours, du fait de l’immigration incontrôlée, dont l’aboutissement est le rem­placement total de la population européenne, sur son sol, par une population non européenne et en majorité arabo-musulmane.
Marine Le Pen, qui prône encore l’assimilation des populations extra-européennes, croyant que l’échec de celle-ci est juste dû à l’absence d’autorité de l’Etat (qu’elle rétablira), s’est toujours refusée à entrer dans cette logique. Chauprade s’y engouffre : « La France a évidemment besoin de profondes réformes économiques, et d’une réforme morale sans doute, mais elle est, avant tout, menacée par le remplacement de sa population historique par une population en majorité africaine et musulmane. Il s’agit là d’une évidence qu’aucun déni de réalité ne saurait masquer. » Evidence peut-être pour lui, mais pas inscrite du tout dans les gènes du FN.
De même et très logiquement emploie-t-il l’expression de « Français de souche », que, là non plus, Marine Le Pen n’utilise pas, ayant maintes fois dû rappeler que sa « priorité nationale » – pas plus qu’aucun autre point de son programme – ne vise pas à favoriser les « Français de souche » mais bien tous ceux qui ont la nationalité fran­çaise.
Or Chauprade enfonce le clou : « Les Français de souche sont peu à peu remplacés et comme l’assimilation ne fonctionne que pour une partie seulement de cette nouvelle population extra-européenne (celle qui a eu la volonté de s’assimiler), la France s’expose mécaniquement à la perspective de ne plus être, d’ici une ou deux décennies, ce qu’elle a été depuis son origine c’est-à-dire une nation de souche européenne et de culture chrétienne. »

Marine Le Pen doit sortir de l’ambiguïté
Et, comme un constat ne suffit pas, il avance des solutions qui ne sont pas plus celles qui figurent dans le programme du Front national, en ciblant ceux qui n’ont vocation « ni à être ni à rester français », ce qui implique l’application des textes permettant la déchéance de la nationalité française pour ceux qui le sont déjà et n’ont pas « vocation à le rester » : « Ceux des musulmans sunnites qui s’assimileront choisiront d’intégrer l’héritage d’une France chrétienne, laïque et d’accepter que leurs compatriotes juifs puissent aimer Israël comme eux-mêmes aiment la terre de leurs ancêtres, le Maroc, l’Algérie, la Tunisie. Les autres (ils sont nombreux) qui font le choix de l’oumma plutôt que de la France, qui voilent leur femme et leurs filles, qui adoptent la barbe salafiste, ceux-là n’ont vocation ni à être ni à rester français. Le refus énergique de l’islamisation (en refusant la construction de mosquées et l’intégration des règles islamiques dans nos coutumes) autant que la réforme profonde des conditions d’accès à l’Etat-Providence seront les deux choix politiques forts qui créeront les conditions du retour de ceux qui n’ont pas voulu choisir d’aimer la France. »
On est bien plus proche de la « Feuille de route pour la politique d’identité et de remigration » présentée par les identitaires (2) que de la charte du Rassemblement Bleu Marine. « L’Express », seul à avoir pour l’heure con­sacré un article au manifeste de Chauprade et à ses conséquences, ne s’y est pas trompé, qui a cité les commentaires « enthousiastes » des dirigeants du Bloc identitaire sur Twitter (« Je me retrouve dans ce brillant texte », Philippe Vardon ; « courageux et fondamental texte », Damien Rieu).
Il faut lire l’intégralité de ce manifeste, qui traite aussi, de façon moins étonnante, de la responsabilité écrasante des Etats-Unis, des relations avec la Russie, de celles avec le Qatar et avec l’Arabie saoudite (« En plus d’être achetés par le Qatar et l’Arabie Saoudite, nos gouvernants de l’UMP et du PS ont fait le choix cynique du poids démographique de la clientèle électorale musulmane ») et de la dérogation au principe de non-ingérence au nom de la « solidarité civilisationnelle » qui fait que le communiqué publié ce même 11 août sous la signature d’Aymeric Chauprade au nom du Front national était titré : « La France doit participer militairement à la destruction de l’Etat islamique en Irak ».
Que va devenir maintenant la « doc­trine Chauprade » ? On ne voit pas comment la présidente du FN, que l’on dit enthousiaste à la lecture de ce texte, pourrait ne pas s’exprimer sur son contenu, tant celui-ci a circulé et circule encore, y compris par les transmissions qu’en a faites, durant la semaine écoulée, son compagnon Louis Aliot, conquis lui aussi par cette ligne claire et dure.
Si Marine Le Pen fait publiquement sien le manifeste publié par Aymeric Chauprade, ce sera au prix de dégâts collatéraux qu’on ne peut encore précisément quantifier mais qui sont certains, jusque dans son entourage proche qui a la haute main sur sa structure propre de financement.
« On ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment » disait le cardinal de Retz, prisé par François Mitterrand. Pour Marine Le Pen, sortir de l’ambiguïté, c’est-à-dire adopter ou rejeter ce Manifeste pour une nouvelle politique internationale de la France, et donc définir qui est l’ennemi prioritaire, le « fondamentalisme islamique sunnite » ou le « mondialisme » qui n’est bien souvent que l’autre nom que les antisémites donnent au « sionisme », serait au contraire un grand éclaircissement indispensable dans sa quête du pouvoir.  

Antoine Vouillazère


1. http://blog.realpolitik.tv
2. http://www.bloc-identitaire.com/actualite/3033/bloc-identitaire-presente-feuille-route-politique-identite-et-remigration


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