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L’affiche, si jeune, si antique

Elle peut être, comme la langue selon Esope, la meilleure et la pire des choses, ou même simplement la plus insignifiante. En ce début de printemps 2012, elle a fleuri avec une vigueur renouvelée. A peine on en arrache une, que dix autres viennent éclore sur l’emplacement dé­vasté, chacune disant le contraire de ce que prétend sa voisine. En ces temps de campagne électorale, les murs se couvrent de cacophonie.
Les illustrations de l’affiche sont anciennes. Elles sont même tragiques. Les premières campa­gnes d’affichage en masse remontent aux derniers temps de la République romaine, lorsque Marius, puis son adversaire Sylla, au grès de leurs succès dans les années quatre-vingt avant Jésus-Christ, firent couvrir la Ville de listes de proscriptions. On ignore sans doute de quel matériau étaient faites ces affiches pri­mitives (pierre ? bois ? papyrus ? parchemin ?). On sait seulement que ces vénérables ancêtres portaient les noms d’opposants désignés à la vindicte du bon peuple : chaque citoyen avait le droit de trucider en toute impunité le malheureux dont le nom se trouvait ainsi placardé. L’assassin citoyen se voyait en outre remettre une partie du patrimoine de sa victime. Le procédé connaîtra de nouvelles heu­res fastes après la mort de César.
L’Empire romain disparu – en Occident du moins –, l’affiche quittera le devant de la scène en dépit de ces débuts si… prometteurs. Il est vrai que les supports de l’écriture sont quelque peu onéreux et on répugne à les gaspiller pour des préoccupations somme toute éphémères. Ce n’est qu’après la découverte du papier (déjà utilisé depuis longtemps par les Chinois) que l’affiche publique fait sa réapparition.
Cette fois, il ne s’agit plus d’encourager à es­tourbir son voisin. En 1517, un moine allemand nommé Martin Luther placarde sur les portes d’une église de Wittenberg une liste de 95 propositions s’opposant aux indulgences pontificales. Ce qui aurait pu n’être qu’une disputatio théologique limitée à l’Université devient un acte public de ré­bellion contre le pape. C’est le début du protestantisme et la fin de l’unité spirituelle de l’Europe. En 1535, ce sera la fameuse « affaire des placards » où des affiches rejetant la messe sont visibles jusque sur la porte du roi François 1er (qui en sera fort irrité). Cet­te fois, l’imprimerie entre dans la danse. Là se situe la véritable naissance de l’affiche moderne.
Ainsi, l’affiche n’est plus seulement un simple avis à la population émanant de l’autorité. Ce morceau de papier de dimensions modestes introduit la propagande dans la vie de la cité. Bien sûr, les institutions l’utilisent abondamment, sans parler des com­merçants et des théâtres. On affiche la prochaine pièce de Molière, mais aussi les offres de recrutement des régiments de l’armée royale. Plus tard, la Révolution et le XIXe siècle verront l’âge d’or de l’affiche politique puis de l’affiche commerciale, la « réclame » comme on dit alors. L’affiche est décidément le miroir de son temps.
Elle l’est de toutes les façons. Comme elles nous semblent lointaines, ces affiches anciennes où le texte est omniprésent ! On y cherche moins à plaire qu’à convaincre ou à exciter les passions nobles (du moins supposées telles). On y enrôle toujours, au nom de la raison, de l’intérêt, mais aussi de la beauté.
Car avec les progrès de l’imprimerie et l’inven­tion de la lithographie, l’affiche commence aussi à intéresser les vrais artistes. Lorsque Toulouse-Lautrec peint ses affiches pour le Moulin rouge ou pour le cabaret où officie Aristide Bruant, il veut aussi attirer le regard et séduire – ou plutôt faire aimer, comme l’essaieront ses continuateurs Cassandre ou Savignac, célèbres affichistes. Un nouveau pas est franchi.
Aujourd’hui, il suffit d’un visage soigneusement retouché, d’une couleur supposée symboli­que, violente parfois, ou alors rassurante – ou qui essaie de l’être – et d’un slogan simple qui se voudra percutant. Le marketing a ses lois impitoyables auxquelles nul, chef d’entreprise ou dirigeant politique, n’ose plus déroger. On ne s’adresse plus au cœur ou à l’esprit, on ne cherche pas non plus à convaincre. On vise directement le ventre.


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  • Publié dans le numéro : 2561
  • Auteur : Jean-Michel Diard
Dernière modification le

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