Nous portons tous, en nous, un monde qui va finir avant nous sans faire de bruit. Cette fin du monde, à laquelle il faut nous préparer parce que nous la vivrons tous, cela s’appelle le mal. Sujet austère pour un livre sublime !
Jérôme Ferrari n’a pas froid aux yeux. Il donne à son roman le nom d’un sermon de saint Augustin : ce sera Le sermon sur la chute de Rome et cela se passera en Corse, dans un petit bistrot où même l’alcool est triste, parce que, d’ordinaire, il ne se passe rien… Rien, en tout cas, jusqu’à ce que Marie-Angèle, la proprio, ait l’idée saugrenue de le donner en gérance à deux jeunes gens, Matthieu et Libero, qui ne connaissent de leur île que les vacances et qui vont faire du lieu un petit paradis toujours disponible après le turbin. La fin du monde aura lieu là, une nuit, dans ce rade improbable, malgré le sourire de commande des quatre serveuses appointées, et malgré le pastis, qui donnait des couleurs aux consommateurs addicts. La fin du monde est inéluctable. Il y a eu quelques secousses sismiques, annonciatrices du cataclysme. Mais rien n’explique le cataclysme. Rien ne le justifie. Un homme meurt, un monde meurt… Et tout redevient comme avant. Nous ne sommes pas des créateurs, répète à plusieurs reprises Jérôme Ferrari, mais seulement des démiurges. Nous sommes prisonniers de nos « créations » et nous mourons avec elles, si nous ne les avons pas rejetées assez vite. Même quand nous ressemblons à des vivants, nous sommes vivants comme Marcel, le grand-père qui enterre son propre fils et qui semble inaccessible à la mort : son monde est mort pourtant, avec sa jeune épouse adorée, et il est mort avec lui, avec elle, depuis si longtemps que