Pas facile de proposer une nouvelle interprétation de Jane Eyre (1843), le roman culte de la Britannique Charlotte Brontë qu’ont lu toutes les jeunes filles qui vont aller voir ce film avec un esprit très critique. La version que propose Cary Fukunaga, au moins la dixième adaptation cinématographique, n’est pas banale.
Une petite rousse court dans la lande immense où elle aurait dû mille fois se perdre et perdre la vie. Elle rencontre un mystérieux cavalier. Elle frappe à la porte d’un vieux château gothique. On attendait la reine Victoria et son monde de conventions en toc, c’est l’univers hallucinatoire de la fée Morgane qui va servir de toile de fond à cette nouvelle Jane Eyre, avec même quelques effets spéciaux à la clef. Personnellement je trouve que ce n’est pas dommage !
Pas dommage non plus le parti pris de nous faire vivre « le drame » de la jeune institutrice à travers des flashs-back successifs. Le récit de ses malheurs (que certaines connaissent sûrement déjà par le menu) s’en trouve rythmé et l’histoire est troussée d’une manière presque policière, le réalisateur américain ménageant les moments forts du film comme autant de rebondissements dignes de Rocambole ou de Tintin, sans doute bien dans l’esprit de Charlotte Brontë, elle-même grande lectrice de Walter Scott.
Comment caractériser cette nouvelle version de Jane Eyre ? Avec Fukunaga, on fait le plein de sentiments sans s’attarder dans le sentimental. Je prends cela pour une qualité. Certains évidemment n’y trouvent pas leur compte. La problématique du film ne tient pas tant à l’intrigue qui se noue lentement et malgré toutes les conventions sociales entre une (très) jeune institutrice et le maître redouté du château de Thornfield qu’à la question obsédante du réel. Dans l’atmosphère fantasmatique du vieux château, dont on nous montre de magnifiques photos, avec ses grandes pièces sombres éclairées par des baies de soleil ou ses cheminées dans l’ombre, le clair-obscur est de rigueur. Constamment. Trop ? Je me le suis demandé. C’est de ce clair-obscur qu’émerge la question que se posent de manière obsédante les deux protagonistes sur la réalité de leur aventure, sur la vraie nature de leurs sentiments.