Nous avons déjà évoqué le critique italien Maurizio Serra dans ces colonnes, pour son très beau livre sur Les frères séparés, Drieu, Aragon et Malraux. Nous avons parlé de sa magnifique biographie de l’écrivain italien Curzio Malaparte. La voilà désormais en livre de poche (collection Tempus). La pensée toujours en avance sur le temps que développe pour lui-même Malaparte, son écriture dense et non conforme, ses divagations à droite et à gauche, entre fascisme et communisme, ses états d’âme de mao ancien facho (à moins que ça ne soit le contraire), sa légende de dandy irrésistible et malchanceux, voilà le drame de Malaparte et la trame d’une biographie passionnante, qui se lit comme un roman. Avec Malaparte, la réalité ressemble à une fiction, les contraires semblent s’appeler : il n’y a pas plus universel que cet écrivain fanatiquement attaché à sa Toscane, pas plus imprévisible que ce contempteur du stalinisme devenu thuriféraire de la révolution chinoise et grand laudateur de « la bonté du président Mao », avec lequel il aura plusieurs entretiens, avant de ressentir, au fin fond de la Chine, les premiers symptômes graves du mal qui devait l’emporter.
Avec Malaparte, on ne s’ennuie jamais ! On voit toujours le monde autrement qu’on l’imaginait. Ses intuitions bousculent toutes nos visions du monde, ses calculs mondains et ses attitudes politiques ont, de ce point de vue, une sorte de vraisemblance proportionnelle à leur étrangeté. Pourquoi s’intéresser à cet être changeant, hâbleur et fuyant tout ensemble ? Outre son style unique, on peut dire que nous autres, Français, nous comprenons bien la difficulté des temps pour cet Italien, coincé entre la République de Salo au nord, les royalistes au sud, les Anglo-Américains et les communistes, sans vouloir s’engager réellement pour aucun des partis en présence… Malaparte n’est pas un lâche. En lui, le soldat perdu cohabite vaille que vaille avec le carriériste mondain. Un cocktail détonnant ! Un profil pas si fréquent et plus noble qu’il y paraît au premier abord.
Joël Prieur
Maurizio Serra, Malaparte, éd. Perrin, coll. Tempus, 798 p., 12 euros.