Voilà un livre qui devrait devenir un classique. Jean Fontenoy a défrayé la chronique par ses reportages sur la Russie bolchevique (la toute jeune URSS) ou sur la Chine de Chiang-Kaï-chek. Mais les principaux mémorialistes de son temps parlent peu de lui. Il n’a pourtant pas ménagé sa peine et s’est engagé plus que d’autres. Il manquait une biographie scientifique de celui qu’on a déjà décrit en Tintin au pays des fascistes. La voici.
Philippe Vilgier a beaucoup écrit sur la politique et les syndicats en France au XXe siècle ; il a fréquenté avant tout les marges où s’écrit la véritable histoire des idées, loin de tous les conformismes. Il a tenté de définir l’homme de droite, ce résistant qui déteste l’esprit de parti et qui, lorsqu’il s’engage, le fait le plus souvent par devoir. Avec Jean Fontenoy, il tient une figure paroxystique, un spectateur à la fois engagé (à fond) et dégagé (complètement), un fasciste non repenti, qui a bourlingué en URSS, en Chine, au Japon, aux Etats-Unis, en Finlande, au Portugal, et qui, après un passage morne par la case Sigmaringen où il a vu le rêve fracassé de la grande collaboration européenne qu’il appelait de ses vœux, s’est supprimé à Berlin à la fin du mois d’avril 1945, refusant de changer d’optique et d’en finir avec l’idéal d’action qu’il avait poursuivi durant toute son existence.
Pas de chef français du niveau de Chiang-Kaï-chek
Jean Fontenoy, né dans une famille pauvre, est élevé par sa grand-mère. Au tournant des années 1920, il est communiste de conviction et flirte avec le surréalisme. Après avoir fait les langues orientales tout en travaillant à l’école comme concierge, il est envoyé à Moscou pour le compte de l’Agence Havas. C’est le premier correspondant de presse français depuis 1918 dans ce pays. Nous sommes en 1924 et Staline monte en puissance.
Fontenoy devient un anticommuniste d’autant plus virulent qu’il sait parfaitement de quoi il parle. En 1937 encore, il écrira Frontière rouge, frontière d’enfer, après un nouveau voyage en URSS, sauvage celui-là. Entre-temps, il se fait nommer en Chine, à Shanghai, où il crée un journal en français (le « Journal de Shanghai ») et où il devient conseiller de Chiang-Kaï-chek. Il admire le Kuomintang, le Parti nationaliste chinois, dans lequel il observe à la fois une forte autorité et le souci profond du bien de la Chine, entre tradition et modernité.
On peut dire que c’est dans ce pays qu’il découvre son idéal politique. Son bref passage au Japon constitue aussi pour lui un vrai coup de foudre. Il aime ce peuple. Il aime décidément ces institutions fortes, qui tirent le meilleur de l’homme.
De retour en France, Jean Fontenoy, profondément patriote mais déplorant toujours la « médiocrité » de son pays, cherche à satisfaire son besoin d’action au Parti populaire français (PPF) de Jacques Doriot ou encore au Parti social français (PSF) du colonel de La Rocque.
Fontenoy est rapidement déçu par les deux chefs français, dans lesquels il ne retrouve pas l’envergure de Chiang-Kaï-chek. Plus tard, au milieu de la guerre, ce chef selon son cœur, il pensera l’avoir trouvé en la personne d’Eugène Deloncle, le sulfureux organisateur de la Cagoule (Osarn) devenu chef du Mouvement social révolutionnaire (MSR).
« Soyez des Français et pas des lâches ! »
Pourquoi s’engage-t-il ainsi ? Avant tout pour mieux voir, en journaliste de race qu’il est. Mais il y a chez lui une quête de valeurs, qui, rétrospectivement, est profondément émouvante. C’est à propos du colonel de La Rocque, avant guerre, qu’il a ces quelques lignes significatives de ce qu’il est lui-même : « Il ne fait pas étalage d’un Plan et se contenterait de rendre aux Français leurs vertus. Il le dit comme cela lui vient. Pour moi, je viens de sentir en écrivant ces mots : leurs vertus, que je ne saurais les discuter. A ceux de mes camarades qui y trouvent à ricaner, je ne riposterai pas. Nous ne sommes plus assez pareils. Sitôt que ces mots-là ont été prononcés, sitôt que sur mon papier ils paraissent, l’attendrissement me gagne, et la ferveur. Je suis pris. »
Vous me direz : comment quelqu’un qui a touché de l’argent des Allemands pour se payer l’opium dont il avait besoin chaque jour peut-il prétendre être un pur ?
L’être pur, si pur soit-il, est toujours impur. Le pire ? C’est l’impur qui joue au pur, l’inverse de Fontenoy.
Que cherchait-il ? Très certainement a-t-il voulu croire à la victoire de l’Allemagne (comme Laval qu’il admirait). Une autre formule, de 1941, définit bien son projet politique : « Soyez avec De Gaulle si vous croyez à la victoire anglaise. Sinon marchez avec le Rassemblement pour la Collaboration et une paix profitable ! Mais soyez des Français et pas des lâches ! »
A partir de 1943, il sait bien qu’il a perdu. Il veut voir encore, voir la défaite. C’est pour voir et pour mourir qu’il ira à Berlin en avril 1945.
Joël Prieur
Philippe Vilgier, Jean Fontenoy, aventurier, journaliste et écrivain, éd. Via Romana,
348 pp., 30 euros.