Jusqu’au vendredi 26 avril au matin, tout allait bien. Depuis le premier tour, elle grignotait son adversaire, elle imposait son tempo. Après, sans même parler du plagiat du discours du 1er mai, ça a été un calvaire. Jusqu’au fameux débat, où, outre l’indignité de la conduite, on n’a même pas parlé d’immigration. Et pourtant, on peut s’estimer heureux : cela aurait pu être pire, et dès le soir du premier tour !
Ce mercredi 3 mai au soir, à minuit passé, Marine Le Pen est encore euphorique quand elle arrive à « l’Escale », son QG de campagne situé rue du faubourg Saint-Ho-noré, à Paris, ainsi surnommé en raison de sa proximité avec l’Elysée. Elle n’a pas encore pris conscience que, en fait d’escale, c’est désormais au terminus des prétentieux qu’elle vient d’atterrir et qu’elle vient de se renvoyer toute seule, pour poursuivre l’allusion cinématographique, à la maison mère. Sur place, ne l’accueillent que ceux qui l’ont trouvée « formidable » et lui ressortent ses saillies qui ont tellement fait mouche. Miroir, ô mon beau miroir… Les autres, tel Gilbert Collard, ont préféré s’éclipser discrètement avant qu’elle n’arrive, de peur de tenir des propos qui fâchent, tandis que d’aucuns, en arrière-plan, regardent leurs pompes.
Il faudra attendre le lendemain pour que Marine Le Pen dessoule. Retombe sur terre. Passe brutalement de la satisfaction d’elle-même à la désillusion. Non, ce ne sont pas que « les médias du système » qui l’ont trouvée mauvaise – exécrable ; c’est tout le monde. Louis Aliot a été le premier à le lui dire. Puis d’autres. Et encore d’autres, qui ont osé, tant les mails et appels de la base, des cadres, des élus étaient calamiteux. Elle a compris. Elle ne le dira pas mais elle a eu honte. Honte de s’être comportée ainsi et d’avoir donné l’impression – si ce n’était qu’une impression… – de trahir tous les Français qui avaient voté pour elle et tous ces militants qui s’étaient dévoués depuis tant de mois, d’années souvent. « Je m’en veux », a-t-elle confié à un de ses proches.
On croyait donc qu’elle avait compris, qu’elle allait le faire savoir, et, qui sait, trouver les mots, au soir du second tour, quel qu’allait être le score, pour endosser personnellement la pleine et entière responsabilité de ce qui s’était passé, un peu à l’image de ce qu’avait fait Lionel Jospin au soir du 21 avril 2002 – sans que cela la conduise au retrait, bien sûr – et puis non : une brève allocution, un semblant d’analyse totalement déconnecté de la réalité, une promesse de transformation de son parti et merci, bisous, à bientôt pour les législatives, et en attendant, allons guincher, allons danser sur YMCA des Village People et sur du Jean-Jacques Goldman, rires complices et déhanchements retransmis sur grand écran afin que les militants n’en perdent pas une miette ! « Il était temps que cette campagne se termine », nous confiait, samedi, un cadre du sud de la France. Il n’imaginait pas qu’il n’avait pas encore tout vu.
Avant le débat, déjà, elle commence à reculer
Pourtant, se focaliser sur le seul débat télévisé, aussi indigne qu’il fût – indigne par rapport à la fonction de chef de l’Etat, indigne par rapport à l’enjeu, indigne par rapport aux 7,6 millions de Français qui lui avaient accordé leur confiance au premier tour, indigne par rapport à tout un courant politique, indigne par rapport aux thèmes qu’elle avait voulu placer au centre de sa campagne et qu’elle ne maîtrisait même pas –, serait réducteur. Après celui-ci, Marine Le Pen a dévissé dans les sondages, engageant la dégringolade méritée qui allait la mener à 34 %, mais le décrochage est antérieur et le fait que celui-ci n’ait pas été perçu tient au mode de réalisation des études d’opinion qui étaient quotidiennement livrées, la « Présidentielle en temps réel » de l’Ifop et le « Présitrack » d’OpinionWay. Ils atténuaient les revirements de l’opinion mais ne masquaient pas la désaffection.
Prenons celui de l’Ifop pour « Paris Match », CNews et Sud Radio. Le 1er mai, Marine Le Pen est donnée à 41 %, en progression de deux points depuis le 25 avril !
L’effet, pense-t-on, de l’accord conclu, le 28 avril, avec Nicolas Dupont-Aignan, à moins que ce ne soit une conséquence de l’appel lancé le même jour par Marine Le Pen aux électeurs de La France insoumise. En fait non. Car le sondage publié le 1er mai a été réalisé entre le 27 avril et le 1er mai au matin et ne prend donc en compte que très partiellement les événements du vendredi.
C’est justement le mardi 2 mai qu’elle commence à reculer (veille du débat), puis encore le 3 (mais il n’a pas encore eu lieu), puis le 4 (et il n’est toujours pas mesuré, si ce n’est de façon infinitésimale), et le décrochage dû au débat n’est pleinement enregistré que le vendredi 5, dernier jour de l’étude et la seule, de toutes celles fournies par l’Ifop, à avoir été réalisée en quasi-totalité (à 80 %) après le débat.
La question de l’euro devenue totalement inintelligible
Que s’est-il passé ? Deux erreurs majeures. La première, sans doute la plus importante comme l’explique fort bien Jean-Yves Le Gallou (voir page 9), est que le discours sur l’euro – et sur l’Union européenne – de la candidate a commencé à être brouillé. Depuis plusieurs semaines, des proches de Marine Le Pen cherchaient à la convaincre d’amender ce qu’ils considéraient, à juste titre, comme un boulet. L’accord avec Nicolas Dupont-Aignan leur en a fourni l’opportunité. Celui-ci a accepté qu’on lui refile le chewing-gum, faisant passer pour un apport raisonnable à l’accord « patriote et républicain » ce qui n’était qu’un délestage de la candidate.
Or, aussi rejetée par les Français qu’elle ait pu être, et notamment par les électeurs qui s’étaient portés au premier tour sur François Fillon, la sortie de l’euro avait tant été martelée par Marine Le Pen, expliquant même que sans elle, 70 % de son programme économique était inapplicable – ce qui était vrai –, que ce revirement à huit jours du second tour a désorienté un peu plus les électeurs. D’autant qu’aucun « élément de langage » n’ayant été fourni, tous ceux qui se succédèrent dans les médias y allèrent de leur propre interprétation, qui ne fut pas précisément la même selon que l’on interrogeait Marion Maréchal-Le Pen, Florian Philippot ou Marine Le Pen elle-même !
Sur un élément aussi important – et aussi structurant, surtout quand on veut faire de la présidentielle un scrutin référendaire, bien que la méthode ait déjà échoué en 2007 ! –, on ne change pas de ligne politique au milieu du gué. En politique, et tout particulièrement dans une campagne présidentielle, l’erreur est humaine, mais c’est de ne pas persévérer dans celle-ci qui est diabolique ! En l’espace de trois jours, le discours de Marine Le Pen sur l’euro est devenu, comme l’a dit François Lenglet sur RTL, totalement « inintelligible ».
S’allier à Dupont-Aignan, c’est parler aux électeurs de Fillon !
La deuxième erreur, commise en ce même funeste 28 avril, révèle la méconnaissance totale, à un point que nous-mêmes n’imaginions pas, de la droite française et de son électorat. Ce vendredi-là, Marine Le Pen, voulant semble-t-il prendre de vitesse Jean-Luc Mélenchon, diffuse une vidéo destinée aux électeurs de La France insoumise et à eux seuls, les appelant à « faire barrage à Emmanuel Macron », car c’est un « banquier », « partisan du libre-échange généralisé », représentant de la « finance arrogante ». Fatigant mais admettons. 19,58 % des électeurs étaient en déshérence, ça ne coûtait pas cher de leur envoyer un message.
Néanmoins, se souvenant qu’il y avait eu, au premier tour, 20,01 % des électeurs qui s’étaient portés sur un certain François Fillon, qui par bien des aspects portait un programme proche du sien sur les questions régaliennes, considérant également que les derniers scrutins avaient montré une porosité croissante entre les électorats LR et FN, des voix s’élevèrent – et pas des moindres – dans l’entourage de Marine Le Pen pour qu’elle s’adresse à eux dans une vidéo où elle leur parlerait identité, souveraineté, sécurité, islamisme, et même, si ce n’était pas abuser, de questions sociétales. C’était prévu ! Prévu, peut-être, mais jamais diffusé, et pour cause : la vidéo n’a jamais été enregistrée…
Pourquoi un tel ostracisme à l’égard des électeurs de la droite ? Par méconnaissance, tout simplement, de ce qu’est l’électeur de droite, de ce qu’il veut qu’on lui dise et de la façon dont il aime qu’on lui parle ! Après bien des conversations, incrédules, nous avons dû nous résoudre à accepter ce que de multiples sources nous expliquaient : à partir du moment où elle avait contracté alliance avec Nicolas Dupont-Aignan, Marine Le Pen a considéré qu’elle avait envoyé un signe majeur à l’électorat de François Fillon et qu’il n’était nul besoin – hormis par un entretien bien trop tardif à « Valeurs actuelles » – d’en envoyer un autre ! Authentique !
« Et si elle proposait Matignon à Mélenchon ? »
Ainsi donc la présidente du Front national aurait benoîtement imaginé qu’en s’alliant avec un candidat qui avait passé toute sa campagne à taper sur François Fillon, elle s’adressait en même temps aux électeurs de ce dernier ? Qu’en désignant comme futur premier ministre quelqu’un qui avait défendu les mêmes positions qu’elle en faisant mine de se démarquer des siennes, et qui avait obtenu 4,7 %, elle adressait un signal fort aux 20,01 % qui n’avaient pas voté pour lui ? Oui… (A propos de Dupont-Aignan, gros succès de l’opération : moins de 40 % de ses électeurs se sont reportés sur Marine Le Pen…)
De tout le second tour, qui a quand même duré deux semaines pendant lesquelles elle a trouvé le temps – la veille du débat et en soirée, comme si elle n’avait rien de mieux à faire ! – d’aller à la rencontre d’un obscur Collectif des Africains pour promettre de consacrer 15 milliards d’euros à l’Afrique – soyons fous ! –, Marine Le Pen aura réussi le prodige de ne pas avoir un seul mot gentil à l’adresse des 7,2 millions d’électeurs de François Fillon, qui sont a priori un peu plus proches d’elle que les électeurs de Jean-Luc Mélenchon ! Rien ! Que dalle ! Il faut dire qu’au soir du premier tour, le 23 avril, au vu des résultats et au nom du combat primordial contre la mondialisation « sauvage », le capitalisme « financier », le libre-échange « débridé », l’« euro-mondialisme » et autre « dictature oligarchique » – à moins que ce ne soit la même chose… –, une idée traversa l’esprit de quelques conseillers, fins stratèges et esprits éclairés.
Et au lieu de leur traverser l’esprit, et de filer voir ailleurs, elle fut mise au débat. Puis étudiée, très sérieusement, par les participants à cette réunion stratégique, tous conseillers de Marine Le Pen rappelons-le, qui allèrent même jusqu’à solliciter celui à qui aurait échu la mission de jouer les intermédiaires, pour savoir s’il en était d’accord. L’idée était celle-ci : et si Marine Le Pen appelait Mélenchon pour lui proposer Matignon ?
Comme on dit sur Twitter : #CordePoutreTabouret
Antoine Vouillazère