Alain de Benoist est l’un des meilleurs analystes de l’époque dans laquelle on essaie de se mouvoir. Il vient de publier un fort ouvrage intitulé Le Moment populiste, un recueil de textes qui tous interrogent les nouveaux critères qui font que la politique d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celle d’hier.
Voilà un ouvrage qui est à la fois d’une extrême clarté et d’une richesse merveilleuse. Avouons qu’il n’est pas courant de rencontrer ces deux qualités en même temps chez un auteur. Richesse ? Le moment populiste est envisagé de plusieurs points de vue différents, point de vue politique bien sûr, point de vue sociologique (avec, par exemple, un beau chapitre sur le communautarisme), point de vue culturel (lorsque l’argumentation du marxiste réactionnaire Jean-Claude Michéa est passée au peigne fin), point de vue moral (parce qu’un chapitre porte sur la droite et l’argent). Impossible, en quelques lignes, de suivre les fusées éclairantes que lance Alain de Benoist. Mais s’il accumule les références, c’est toujours pour les utiliser avec une clarté dominatrice, d’une plume classique, parfois ironique, allant toujours à l’essentiel en quelques lignes : « A la fin de l’envoi, je touche. »
« Une crise de confiance : on ne croit plus personne, on ne croit plus en rien »
Lisez immédiatement l’introduction, pour constater comment la question du populisme est d’abord une question politique. On avait si souvent, à droite et à gauche, répété après Madame Thatcher : « Il n’y a pas d’alternative. » Une seule pensée est possible, un seul projet, un seul sens : celui de la mondialisation. Ce que l’on appelle le populisme réunit toutes les formes de colère, de réflexions ou de recours face à ce rouleau compresseur, avant tout technique et financier. Qu’est-ce qui a rendu possible ce salutaire mouvement de recul ? « Une formidable crise de confiance : on ne croit plus personne, on ne croit plus en rien. »
Quoi qu’on en pense, le populisme d’aujourd’hui n’a rien à voir avec le poujadisme d’hier. Poujade avait des certitudes simples et mobilisatrices : les gros mangent la laine sur le dos des petits, il faut que cela cesse ! Le populisme d’aujourd’hui repose, lui, sur la défiance et sur le doute. Evidemment, il n’est pas facile de construire quoi que ce soit – même une force d’opposition – sur un manque de confiance, c’est toute la difficulté que rencontrent les mouvements dits populistes ou protestataires. N’auraient-ils à partager que la défiance ?
Avec la défiance, on rencontre aussi le mépris, lorsque l’on en vient à comprendre que l’évolution ne tient pas seulement à la désindustrialisation ou à la délocalisation, mais à une évolution culturelle, qui semble irréversible et qui porte un nom, la boboïsation du monde : « La nouvelle global middle class est caractérisée par son aisance à voyager, par l’anglais touristique, l’usage modéré des drogues, le contrôle des naissances, une nouvelle esthétique androgyne transsexuelle, un humanisme tiers-mondiste, un multiculturalisme sans vraie curiosité culturelle, et enfin par une approche générale de la philosophie qui en fait une thérapie psychologique de groupe et une gymnastique de relativisme communicationnel où le vieux et fatiguant dialogue socratique devient le babillage de gens semi-cultivés. »
La vie politique n’a jamais été aussi tendue ? C’est que les populistes manifestent une défiance dont ils sont eux-mêmes l’objet, ne serait-ce que dans la manière de leur accoler ce nom de populiste comme « un concept magique qui permet d’assimiler tout en discréditant, de condamner tout en désignant ». S’il est vrai que ce qu’ils ont en commun, c’est d’abord « un style », plus qu’un programme, ce à quoi ils s’opposent – le système – apparaît comme le même pour tous. Disons-le : c’est le même déni de démocratie pour tous. « Tout est fait, écrit Alain de Benoist, pour substituer à la décision populaire la gestion des choses, la souveraineté des marchés financiers, l’autorité des experts et le gouvernement des juges. Les citoyens n’ayant plus les moyens de demander des comptes à leurs représentants, le système se transforme en une oligarchie qui n’est plus responsable que devant les intérêts privés qui la soutiennent. »
Face à ces intérêts qui font système, le populisme représente sans doute la dernière chance de sauver la démocratie, c’est-à-dire non pas seulement la désignation des pouvoirs par le peuple, mais, d’une manière plus profonde, une véritable occasion pour le peuple de « participer activement à son destin » sans se laisser imposer son sort de l’extérieur, au nom d’intérêts qui ne sont pas les siens.
Le populisme peut certes « se combiner avec n’importe quelle idéologie », mais il apparaît avant tout comme une chance historique de ne pas laisser se perdre la démocratie pour que le peuple puisse continuer de participer à la gestion de son propre destin. « Le populisme ne veut au fond rien d’autre que “peupler“ la démocratie. »
Cette préoccupation, nous sommes obligés de le constater, n’est plus seulement celle de tel ou tel parti.
Elle touche les électeurs de tous les partis, elle pourrait bien être à l’origine, dans de brefs délais, d’un effacement de tous les partis de gouvernement et d’une recomposition de l’espace politique français.
Joël Prieur
Alain de Benoist, Le Moment populiste – Droite-gauche, c’est fini !, éd. Pierre-Guillaume de Roux, 338 p., 23,90 euros.