Exercice inédit sous la Ve République, le débat d’une partie des candidats à la présidentielle des 23 avril et 7 mai prochains a peut-être rebattu les cartes d’une élection présentée comme jouée d’avance. L’espoir renaît d’une élimination de la gauche dès le premier tour !
Il était 22 h 30 ce lundi, quand, nous souvenant que l’imprimeur attendait ce numéro et qu’il nous fallait encore commenter, « à chaud », ce que nous venions de voir, nous avons dû cesser de regarder ce débat, non sans regret. Car depuis 21 heures, Emmanuel Macron avait enfin montré ce qu’il avait dans le ventre : rien ! Rien d’autre que du vent, des paroles vides de sens, une suite de formules creuses, les mêmes banalités que celles qu’il sort lors de ses meetings mais sans, cette fois, qu’il y ait de « team ambiance » (voir pp 4-5) pour masquer l’inanité de ses propos derrière des exultations sur commande. Non seulement Macron n’avait rien à dire, mais en plus il le disait mal, multipliant les fautes de grammaire et de conjugaison, au point qu’on ne serait pas étonné d’apprendre que c’était lui qui, depuis 2012, écrivait les discours de François Hollande.
Et Macron enclencha sa descente…
L’exercice du débat télévisé, d’ordinaire ennuyeux, a été plus instructif que prévu et il va falloir surveiller, non ce qu’en disent les éditorialistes, qui commentent toujours à travers des prismes personnels basés sur des a priori idéologiques, mais ce que vont indiquer, dans les prochains jours, les instituts de sondage, qui participent certes de la fabrique de l’opinion, mais sont tout de même tenus, pour ne pas se discréditer complètement, de livrer au public les tendances qui se dessinent. Même si c’est avec retard, même si c’est à coups de demi-points, on voit mal comment Emmanuel Macron ne commencerait pas, dans la semaine, à perdre de sa superbe sondagière.
Durant la première heure, Macron le flamboyant, Macron la superstar, semblait perdu. Tellement apeuré, tellement paniqué par l’idée de commettre un faux pas, qu’il récitait face caméra, comme à l’exercice auquel des répétitions avaient dû le contraindre, des éléments de langage appris par cœur. Ensuite il s’est détendu et on ne jurerait pas que cela lui ait beaucoup plus réussi, tant il n’avait toujours rien à dire, sinon pour contrer Marine Le Pen, ce que Jean-Luc Mélenchon fera toujours bien mieux que lui.
Dimanche dernier, dans le « Journal du dimanche », Macron avait expliqué : « Si être populiste, c’est parler au peuple sans passer par le truchement des appareils, je veux bien être populiste. » Lundi soir, il a parlé au peuple les yeux dans les yeux et on voit mal comment le peuple a pu comprendre quelque chose à ce qu’il disait, entre « il faut savoir raison garder », quand il était questionné sur la justice – ou sa proposition pour le moins curieuse de « police de sécurité quotidienne » (sic !) – et sa « politique réaliste en matière migratoire » opérant un tri tout aussi étrange entre « ceux qui ont les titres » et « ceux qui n’ont pas les titres ». On aurait dit un clandestin essayant d’apitoyer sur son sort à force de « j’ai pas les papiers ».
François Fillon vainqueur aux points
Marine Le Pen, elle, a été dans le rôle qu’on attendait, celui du défenseur des Français, de l’indépendance de la France et de sa souveraineté, tantôt agressive, tantôt ricaneuse vis à vis de ses concurrents, et pensant toujours à glisser un mot compatissant et de reconnaissance pour les policiers ou pour les enseignants, qui accomplissent leur mission dans des conditions difficiles. Le discours habituel, certes, mais bien rodé, exprimé de façon détendue et venant à l’appui de propositions concrètes et d’éléments chiffrés juste ce qu’il faut pour marquer les esprits, comme ces 66,7 % de migrants en plus d’une année sur l’autre en Italie.
De son côté, Benoît Hamon en faisait tellement dans la quête du vote de l’électorat des banlieues (ah ! ce passage sur « le jeune Français de couleur noire » qui est bien plus contrôlé que « le jeune Français de couleur blanche » !) qu’il mobilisait peut-être dans les cités, encore que cela reste à prouver, mais consolidait surtout l’électorat mariniste qui voyait très bien à quoi ressemblerait la France de Benoît Hamon et celle de Macron (qui en rajoutait lui aussi sur ce thème en détaillant ses mesures pour les zones d’éducation prioritaire) : ce ne serait que la France d’aujourd’hui, en pire.
Mais si nous devions désigner un vainqueur aux points du premier des trois débats qui doivent avoir lieu avant le premier tour, ce serait sans conteste François Fillon. Comme lors des débats de la primaire de la droite, il est apparu serein, pourvu de la stature de l’homme d’Etat, sachant où il voulait aller et comment, et parlant clair. Qu’on l’apprécie ou pas, que les scandales qui entachent sa campagne l’aient discrédité ou pas, qu’on le croit sincère ou pas du tout, il est un sujet sur lequel il a marqué des points, celui de la laïcité.
Tandis que Marine Le Pen réclamait l’inscription des règles de la laïcité du Code du travail, que Macron dissertait sur la laïcité comme bouclier, que Jean-Luc Mélenchon s’en donnait à cœur joie dans le laïcisme et que Hamon disait quelque chose qu’on n’a pas retenu, François Fillon, tranquillement, sans hausser le ton, et dans un silence quasi respectueux qui tranchait avec le brouhaha qui avait précédé, a expliqué que « la question posée, c’est celle de l’intégration de la religion musulmane », convoqué les concordats et Napoléon, et déroulé les mesures drastiques qu’il convenait de prendre, sans susciter la moindre indignation.
Là, même Marine Le Pen a dû se dire qu’elle avait raté le coche. Elle n’a plus qu’à ajuster son discours en prévision du débat de l’entre deux tours. Face à Fillon ?
Marc Bertric