Michel Houellebecq s’est imposé dans le monde entier comme le romancier de ce début du XXIe siècle. Sur le sexe, sur la religion, sur l’art, il a popularisé un discours pessimiste dans lequel se retrouve bien notre époque, comme définitivement déniaisée des fumées hallucinatoires du progressisme.
Alors que la collection Mille et une pages des éditions Flammarion publie le deuxième volume de ses Œuvres complètes (2001-2010), Michel Houellebecq se voit consacrer un Cahier de l’Herne, sorte de brevet de reconnaissance de la classe littéraire en général réservé aux écrivains défunts, dans lequel s’exprime l’admiration la plus personnelle – mais aussi les sentiments les plus convenus. Qu’importe ! On reparle de l’auteur des Particules élémentaires, on lui montre qu’on ne lui en a pas (trop) voulu de ce pavé dans la mare qu’a été Soumission, même si son Goncourt (pour La Carte et le Territoire) occupe beaucoup plus de place dans ce recueil et même si l’article consacré à Soumission, signé par la responsable du volume, Agathe Novak-Lechevalier, se trouve largement en deçà du sujet de ce roman capital sur l’islamisation de la France.
Des reprises de textes oubliés
Plutôt que dans les hommages, l’intérêt d’un tel volume se trouve dans les inédits et aussi dans les reprises de textes oubliés, où, loin de l’encens, on découvre quelques pépites de critique. Citons avant tout le texte de Maurice G. Dantec, parti trop vite pour un monde meilleur mais qui avait tôt perçu le fond philosophique de l’inspiration romanesque et poétique de Houellebecq : « Ce que je partage peut-être de plus profond avec Houellebecq : comprendre la littérature comme un programme de survie. »
La survie a toujours quelque chose de brutal, comme les livres de Houellebecq. Mais la littérature donne une sorte d’élégance paradoxale à cette brutalité. A ceux qui reprochent à Michel Houellebecq de n’avoir pas de style, Dantec répond justement : « Ce que Houellebecq apporte de plus puissamment orchestré, c’est précisément son style, c’est-à-dire l’adéquation parfois paradoxale et souvent fulgurante de son langage et de sa pensée, j’oserais dire de ses actes et de ses idées. »
Si le style, c’est l’homme, alors comment dénier à Michel Houellebecq d’avoir un style, indissolublement écriture et mode de vie ? C’est dans cet accord miraculeux que se trouve la vérité du roman. Non pas seulement dans les choses dites, mais dans la manière de dire ces choses et non d’autres. Là-dessus, c’est vrai que Houellebecq est proprement imbattable !
Je suis particulièrement sensible aux conseils spirituels que Maurice G. Dantec donna à Houellebecq quelques mois avant de mourir : « Il a essayé de se convertir au catholicisme, mais dans un entretien, récemment, il a déclaré que ça n’avait pas marché parce que Dieu n’en voulait pas », dit l’interviewer. Et Dantec, qui lui s’est converti, de répondre : « La foi est une grâce. Là-dessus, Michel, tu n’y peux rien. Mais bizarrement, nous catholiques, on est du côté de la raison. On n’est pas des fidéistes, comme les islamistes. Tu peux te faire baptiser sans avoir une foi foudroyante. Si tu es du côté de la raison, tu comprendras que la foi catholique, c’est la seule vraie. »
Etrange testament spirituel, qui rejoint les propos tenus par le jeune Houellebecq à la revue royaliste « Immédiatement » : « Un poème peut s’écrire très rapidement. C’est ce qui explique que j’arrive à écrire un poème comme Le Sens du combat, qui est d’inspiration authentiquement catholique. Je suis d’ailleurs souvent allé à la messe, j’ai fait de réels efforts. Et je reste persuadé que le bonheur est d’essence religieuse. »
En quelques mots, roidement essentiels, devant n’importe quel interviewer, du moment qu’il a confiance, Houellebecq est terriblement vrai. L’article de Nelly Kapriélian, « Interviewer Michel », souligne bien l’authenticité de cet acte chez Houellebecq. On peut regretter que ce volume ne comporte pas davantage de ces interviews, où il donne sa pensée brute. Il me semble que chez lui, l’interview pourrait être élevée à la dignité de genre littéraire mineur.
Une manière d’être absolument contre le monde tel qu’il va
Non seulement L’Herne consacre l’un de ses gros Cahiers à l’auteur de La Possibilité d’une île, mais sort aussi et en même temps, de la même maison, un petit Carnet, préfacé par la même Agathe Novak-Lechevalier, offrant un inédit de Houellebecq sur Schopenhauer. C’est sans doute chez ce philosophe allemand, dont notre homme traduit et commente une vingtaine d’extraits, que l’on trouve le secret de l’antiprogressisme de Houellebecq, cette manière d’être absolument contre le monde tel qu’il va, en osant une introspection sans complaisance, parce que le monde commence toujours en soi.
La leçon est trop dure ? Elle est en tout cas celle qui convient à notre époque, qui a définitivement rompu, en la personne symbolique de Houellebecq, avec le progressisme naïf des Trente Glorieuses.
Joël Prieur
Houellebecq, dirigé par Agathe Novak-Lechevalier, éd. de l’Herne, 384 p., 33 euros.
Michel Houellebecq, En présence de Schopenhauer, éd. de L’Herne, 96 p., 9 euros.