Michel Déon, romancier, royaliste et écrivain voyageur, a tiré sa révérence à l’âge de 97 ans. Il était le dernier collaborateur vivant de Charles Maurras et nous laisse une œuvre littéraire majeure.
A force d’entretiens et de rencontres au cours de ces deux dernières décennies, Michel Déon était devenu immortel à nos yeux. Sa mort assez soudaine, ce mercredi 28 décembre 2016 à Galway, en Irlande, interrompt une exceptionnelle carrière littéraire débutée en 1944 avec Adieux à Sheila, un roman publié chez Robert Laffont sous les auspices de Kléber Haedens (écrivain injustement oublié sauf quand il s’agit d’empêcher qu’un collège porte son nom et que les élèves découvrent son Histoire de la Littérature française).
Malgré les qualités et les succès d’estime des pages italiennes de Je ne veux jamais l’oublier (1950), de celles, américaines, de La Corrida (1952) puis du Dieu pâle (1954), de Tout l’Amour du Monde (1955) ou des Trompeuses espérances (1956), qui se déroule en partie au Québec, il faudra attendre 1970 pour que Michel Déon rencontre le grand public avec Les Poneys sauvages, fresque romanesque traversant le fracas des trois décennies précédentes. Puis ce sera Un Taxi mauve (1973), portrait amical de « son » Irlande au fil des routes et des cottages de cette terre d’élection où il aura vécu près d’un demi-siècle, qui sera porté à l’écran quatre ans plus tard par Yves Boisset, la distribution prestigieuse alignant Charlotte Rampling, Philippe Noiret, Peter Ustinov et Fred Astaire.
Parmi ses œuvres de fiction ultérieures, on mentionnera bien sûr le Jeune Homme vert (1975) mais aussi Un déjeuner de soleil (1981), La Montée du soir (1987), La Cour des grands (1996) et Madame Rose (1998), son dernier roman en date. Le prochain était en cours d’achèvement pour Gallimard et il en était heureux.
L’hommage de Félicien Marceau au chevalier Déon
Mais on ne comprendrait pas grand-chose à la destinée et l’œuvre de Michel Déon si l’on oubliait que, né Edouard Michel en 1919 à Paris, fils d’un conseiller du prince de Monaco, il avait fait son apprentissage intellectuel dans les rangs des étudiants d’Action française à la veille de la Deuxième Guerre mondiale aux côtés de Pierre Boutang, François Sentein, Jacques Laurent, François Leger, Philippe Ariès et Raoul Girardet. Pour être tout à fait exhaustif, il est nécessaire de mentionner que c’est le futur acteur François Périer (1919-2002) qui le recruta dans l’organisation monarchiste au lendemain du 6 février 1934 au lycée Janson-de-Sailly.
Son premier article porte sur Frédéric Amouretti (1863-1903), l’un des premiers compagnons de Charles Maurras. Il est publié en 1937 dans la revue « L’Etudiant français », dont il dira exactement un demi-siècle plus tard, accueillant à l’Académie française son ami Jacques Laurent, qui y avait également écrit : « “L’Étudiant français“ était fort ouvert et, si on en parcourt aujourd’hui la collection, on s’étonne d’y voir apparaître pour la première fois maintes signatures qui, par la suite, s’égaillèrent à des horizons politiques fort différents. »
Puis ce sera la mobilisation, la débâcle et le repli à Lyon sous l’occupation où, de 1942 à 1944, il restera, comme fasciné, aux côtés de Charles Maurras en assurant le secrétariat de rédaction de « L’Action française » et en servant régulièrement de chauffeur au maître de Martigues.
Comme tant d’autres, Déon expérimentera après-guerre une sorte d’exil de l’intérieur, tenant la rubrique théâtrale d’« Aspects de la France », devenant l’ami d’Antoine Blondin (chez qui il habitera un temps avenue de Ségur) et d’André Fraigneau, sympathisant avec Jacques Chardonne et Paul Morand puis larguant les amarres pour l’île de Spetsai, en Grèce, et enfin l’Irlande et son vieux presbytère (Old rectiry) de Tynagh, dans le comté de Galway. Sans oublier le Portugal où cet amoureux des forêts odorantes de Sintra, décidé à vivre selon son goût sans renier pour autant ses convictions profondes, dialogua avec Salazar et préfaça même les discours de Marcelo Caetano, le président du Conseil renversé par la « révolution des œillets ».
C’est en homme de droite qu’il entre à l’Académie française en 1978, accueilli par son ami Félicien Marceau qui lui lance : « Monsieur, vous et vos personnages, vous êtes des chevaliers. […] Chevaliers […] parce qu’ils empoignent rudement leur destin, parce qu’un principe de violence commande à leurs mœurs, parce que leur trajectoire évoque un galop furieux, parce que, même parfois un peu tordue, il leur reste cette colonne vertébrale qui est l’honneur, un certain sens de l’honneur. »
On relira avec intérêt ses souvenirs : Mes arches de Noé (1978) et Bagages pour Vancouver (1985), volumes rassemblés ultérieurement sous le titre de Pages françaises (Gallimard).
Son réquisitoire contre les droits de l’homme
Loin de s’en tenir à une littérature « désengagée », Michel Déon, qui n’hésitait pas à collaborer à la revue de Maurice Bardèche « Défense de l’Occident », a publié plusieurs textes à la frontière de la littérature et de la politique. On songe tout d’abord à Mégalonose, un pamphlet de 1967 contre la France de De Gaulle utilisant le truchement de Swift (encore un Irlandais…) et ses Voyages de Gulliver.
A la lecture des Poneys Sauvage, qui aborde – comme La Carotte et le bâton (1960) – le drame algérien, le général Challe lui adressera le 22 janvier 1971 une lettre enthousiaste et prémonitoire où il écrivait notamment : « Vous savez aussi bien que moi comment des politiciens fous ont transformé notre décolonisation par promotion en une décolonisation par abandon. L’Algérie et la France n’ont pas fini de payer. Merci pour avoir présenté cela de façon si véridique et généreuse. »
En 2001, dans Taisez-vous… J’entends venir un ange, une sotie censée se dérouler à Corfou, il dénonce à sa façon les bombardements de l’Otan qui frappent « nos frères chrétiens de Serbie » avant de s’en prendre au mythe fondateur du nouvel ordre mondial : « Les Droits de l’Homme sont une idée de la Révolution française qui n’a servi qu’à justifier la guillotine pour quatre-vingt mille citoyens, en grande majorité des gens du peuple, à légaliser l’appropriation des biens d’autrui, à légaliser la dictature napoléonienne et attiser des conflits dont nous souffrons encore. »
Le dernier collaborateur vivant de Charles Maurras
Que retiendra-t-on de Michel Déon ? La grâce et l’élégance naturelle d’un homme qui avait sublimé ses blessures politiques intimes par un appétit sans cesse renouvelé de flâner de par le monde. Il aimait le calme de la campagne irlandaise mais ne dédaignait pas la vie littéraire parisienne, ses coquetèles, ses prix et ses rites et ce d’abord parce qu’il y croisait des amis chers.
Si l’on nous demandait de garder un seul de ses livres, nous nous dirigerions de ce pas vers le plus parisien, Les Gens de la Nuit (1958) qui est peut-être le meilleur roman écrit sur le quartier, les bars et la faune nocturne jadis attachante de Saint-Germain-des-Prés : « Il suffit parfois du plus léger mot pour que notre peine s’apaise quelques heures, cesse de nous brûler. » Les Gens de la nuit est pourtant tout sauf un livre tendre, mais bien un récit empli de bagarre, de morts et de suicides.
« Le Paris de l’aube hésite entre le sordide et le glorieux. Il faut être son amant depuis longtemps pour n’en pas être déçu. Je décidai de le devenir » : voilà pour la profession de foi du héros, Jean Dumont, ancien légionnaire passé dans la pub, fils d’un caricatural candidat à l’Académie française. Dans les nuits de Saint-Germain-des-Prés et du ventre des Halles, il sympathise avec un peintre survivant de la division SS Charlemagne, avec une ancienne mannequin héroïnomane et une beurette versée dans l’activisme pro-FLN. Si l’on y ajoute un tenancier de bar antillais, la galerie de portraits a plus que résisté au temps.
Avec Michel Déon disparaît le dernier collaborateur vivant de Charles Maurras et le dernier intellectuel de l’école d’Action française connu du grand public. A l’Académie française, il y a vingt ans, il partageait ses fidélités politiques avec Jacques Laurent, Michel Mohrt ou José Cabanis. Ils étaient demeurés fidèles à l’anticonformisme de leur jeunesse. La vénérable compagnie du quai Conti fondée par Richelieu était encore un peu notre chambre des Lords. Il est fort à parier qu’elle s’étiole désormais inexorablement. Comme le temps passe… Pour défendre la mémoire de Michel Déon, on cherchera plutôt du côté du Prix des Hussards et de son secrétaire général François Jonquères ou de la revue « L’Atelier du Roman » animée par Lakis Proguidis. Ils lui demeureront fidèles.
Jacques Cognerais