Mais comment François Fillon a-t-il fait ? Aurait-il, lui aussi, un gourou qui lui aurait fourni les clefs de la victoire ? Nullement. « Avec cent hommes déterminés, disait François Mitterrand, on peut prendre le pouvoir. » Il se trouve que l’ancien premier ministre en a quelques-uns autour de lui…
François Fillon a gagné pour avoir, de tous les candidats, perçu de la meilleure façon la droitisation de la vie politique française, ce mouvement dextrogyre décodé par Guillaume Bernard, et capté la fraction la moins radicalisée de la droite « hors les murs » théorisée par Patrick Buisson. Il a clairement profité de sa compatibilité avec la sociologie de la Manif pour tous. Mais le positionnement ne fait pas tout et une série de soutiens arrivés à point a fait la différence.
Il est clair que l’ancien premier ministre de Nicolas Sarkozy a bénéficié du réseau très efficace des trentenaires et quadragénaires issus des milieux séguinistes des années 1990. Recyclés par des élus sarkozystes, faute d’autres perspectives, ces quadras gaullistes et souverainistes ont parfois frayé également avec Charles Pasqua ou Jean-Pierre Chevènement. Comme le décrypte un observateur avisé de la sociologie politique française, « ils sont la dernière génération de droite à avoir une colonne vertébrale intellectuelle, que Chirac et Sarkozy se sont appliqués à liquider à partir du retrait de Philippe Séguin de la vie politique française en 2001 ». Ces orphelins du gaullisme ont trouvé leur nouveau champion, plus libéral peut-être que Séguin mais tout aussi à l’aise dans l’art de cultiver la nostalgie souverainiste.
Des chevau-légers de la droite ultra
Autres réseaux mobilisés : les libéraux issus… de l’extrême droite anti-gaulliste ! C’est-à-dire des mouvements Occident et Ordre nouveau. C’est le cas de l’ancien ministre de la Défense Gérard Longuet, mais aussi du père de l’auto-entreprenariat Hervé Novelli ou encore de la grande prêtresse de la communication institutionnelle et politique Anne Méaux. Ils lui ont même apporté le soutien de Valéry Giscard d‘Estaing qui fut leur premier employeur dans les années 1990.
Face à un début de campagne jugé assez catastrophique en interne, ils ont su redonner confiance en lui à François Fillon et, dans la dernière ligne droite, lui ouvrir les portes de la presse politique. Exception faite de ses relations dans le patronat, François Fillon, en bon élu de l’Ouest, n’est en effet pas un homme de réseaux, de combines et de petits arrangements. Gérard Longuet et Hervé Novelli ont participé à nombre de réunions publiques, ils ont « mouillé la chemise » au service du candidat Fillon. Ils pèseront en cas de victoire.
Enfin, en accueillant à bras ouverts le mouvement « Sens commun » issu de la Manif pour Tous, débarrassé de ses éléments sarkozystes et fort de son réseau d’élus locaux issus des municipales, François Fillon a sécurisé le noyau de l’électorat catholique pratiquant et incorporé des cadres dont la solide culture thomiste et parfois même maurrassienne a fortement contribué à son succès. Ces chevau-légers de la droite légitimiste, loin de monnayer leurs convictions pour un plat de lentilles, ont sauvé le poids de la Manif pour Tous au sein des Républicains.
Juppé réduit à être le ramasse-miettes du centrisme
Avec ces soutiens fort différents, François Fillon s’est retrouvé au carrefour des droites françaises, des diverses familles spirituelles de la droite de conviction. « Il est capable de fédérer des radicaux-socialistes gaulliens et des royalistes là où Alain Juppé en est réduit à être le ramasse-miettes du centrisme désincarné et du chiraquisme décati », lâche, moqueur, un de ses conseillers. L’ancien ministre de la Défense Charles Millon a également mis ses réseaux catholiques à la disposition de François Fillon alors qu’il aurait été moins surprenant de le voir soutenir Jean-Frédéric Poisson.
Cet étalage de la droite de conviction gaulliste, libérale ou traditionaliste va permettre à François Fillon de rendre coup sur coup et même plus à Marine Le Pen qui a toutes les raisons de s’inquiéter – de même que Nicolas Dupont-Aignan. « L’élection de François Fillon est ce qui pouvait nous arriver de pire pour 2017, il va nous faire perdre beaucoup de voix à droite », confie un cadre du FN. Le raz-de-marée filloniste du 20 novembre 2016 s’inscrit donc dans la nouvelle dynamique de la droite française en même temps qu’il rebat les cartes en profondeur.
Antoine Ciney