Et Fillon triompha ! A tel point et dans des conditions telles qu’on se plaît à imaginer ce qui serait advenu si le scrutin avait eu lieu un ou deux jours plus tard : la dynamique était telle (« Je n’ai jamais vu un déclenchement de progression et une progression aussi fulgurante, puissante, courte », a confié un dirigeant d’institut de sondage à l’AFP) que François Fillon aurait été désigné comme candidat de la droite et du centre – l’intitulé officiel – dès le premier tour, alors qu’on se demandait encore il y a un mois s’il était possible qu’Alain Juppé terrasse ses adversaires dès le premier tour. Souvent ceux qui font profession de sonder les reins et les cœurs de l’opinion font erreur ? Souvent opinion varie ?
Le choix de l’efficacité
La critique systématique des études produites par les instituts de sondage, qui connaît un net regain depuis le Brexit et l’élection de Donald Trump en des milieux qui s’appuient par ailleurs sur lesdits sondages pour prouver que leur stratégie est la bonne et assure la présence de leur candidat(e) au second tour de la présidentielle – suivez mon regard –, pêche en bien des points sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir d’ici à la présidentielle et occulte deux faits majeurs : les sondages ne prétendent pas à la prédiction et donnent seulement un état approximatif de l’opinion à l’instant où ils sont réalisés, seule leur lecture sur la durée permettant d’en dégager des tendances ; et l’opinion a de plus en plus tendance à se décider au dernier moment.
Ainsi dimanche, jour du scrutin, suffisait-il de sortir de chez soi, d’aller à la rencontre de l’habitant – son voisin – et d’amener subtilement – avec ses gros sabots – la conversation sur le sujet de la primaire – alors, vous allez voter ? – pour découvrir, même pas surpris, que l’électeur de droite, qui envisageait d’aller voter – même pas sûr ! –, s’il savait pour qui il ne voterait pas – pas Sarko, hein ! – n’était pas bien certain du candidat auquel il allait réserver son suffrage.
Ainsi l’auteur de ces lignes, qui a pour avantage d’habiter la France profonde – mais pour inconvénient de se trouver en terre juppéiste – a-t-il croisé son épicier, qui revenait d’acheter le journal, et qui aurait p’t’être voté pour Poisson, vu qu’il avait donné un entretien à « Minute », puis un autre commerçant, qui est tout aussi de droite, et qui s’apprêtait, ainsi que sa femme, à voter pour Bruno Le Maire. Quelques explications plus tard, ayant compris que la seule motivation de cette intention de vote insolite était de liquider Sarko, je les ai laissés convaincus qu’à tout prendre et si telle était leur principale motivation, ils seraient plus efficaces en glissant un bulletin Fillon dans l’urne…
Il s’est donc passé, dimanche, qu’il est apparu aux électeurs de droite, qui ne voulaient plus entendre parler de Nicolas Sarkozy en raison du tempérament de parvenu grossier qu’il avait montré durant son quinquennat – et nullement en raison de son discours identitaire et sécuritaire – que François Fillon est apparu comme le choix de l’efficacité, sur la base – et c’est là que les effets des études des instituts sont pernicieux – des sondages qui donnaient à penser qu’il pouvait battre l’ancien chef de l’Etat. Le vote appelle le sondage mais le sondage appelle le vote en direction de celui qui est dans une dynamique ascendante à quelques heures du scrutin. On ne joue pas toujours gagnant, mais enfin, on aime bien jouer placé.
Dans la position du favori
La victoire de François Fillon, et sa probable désignation dimanche prochain comme candidat de la droite à l’élection présidentielle, ne se limite évidemment pas à cet aspect, pas plus que la déconvenue d’Alain Juppé – et de tous les autres d’ailleurs – ne s’y résume. Si le vote utile – notion qui s’établit là encore sur la base des sondages – a joué à plein – hormis peut-être pour Jean-François Copé, dont il faut saluer le lien qu’il a su tisser avec ses troupes après avoir dirigé durant plusieurs années le premier parti de la droite française ! –, François Fillon est parvenu, durant cette campagne, à imposer l’image du représentant d’une droite ferme – ce que n’est pas Juppé – mais tranquille – ce que n’est pas Sarkozy.
De plus, comme l’écrit Alexis Brézet dans « Le Figaro » : « La surprise ne serait pas advenue sans la vista de François Fillon, qui a actionné un troisième ressort, très puissant dans le cœur du “peuple de droite“. Parti au départ en campagne sur des thèmes économiques très “libéraux“, qui lui valaient un succès d’estime sans déclencher la dynamique attendue, il a su s’installer aussi sur les thèmes “conservateurs“ qui ont le vent en poupe à droite (et pas seulement). Son livre contre le “totalitarisme islamique“, ses gestes en direction de la Manif pour tous et de l’électorat catholique (“N’ayez pas peur !“, les mots de Jean-Paul II), ses prises de position sur l’école ou la Russie, ses coups de griffe contre les journalistes et la “politique-spectacle“ : autant de signaux, discrets mais sans équivoque, que les électeurs de la droite profonde ont saisis à demi-mot. »
Peut-on dès lors considérer que François Fillon a déjà gagné l’élection présidentielle et qu’il l’emportera le 7 mai 2017 face à Marine Le Pen, tant il est certain – puisqu’on nous le serine – que la gauche divisée ne pourra pas hisser un de ses représentants au second tour de cette élection ? Les joueurs prendront les paris mais les analystes resteront prudents, tant tout est encore possible, même si François Fillon s’installera dimanche soir dans la position la plus inconfortable qui soit, celle… du favori.
Vers la reductio ad petainum
Il n’a pas encore remporté le scrutin que, déjà, la presse de gauche, faisant mine de se féliciter d’avoir bientôt un candidat à sa mesure – comprendre : une cible clairement identifiée –, cible cet homme de « la vraie droite », de « la droite dure », qu’après avoir léché quand il semblait inoffensif – quand il ne pouvait pas gagner –, a lâché et va bientôt lyncher en mode reductio ad petainum, comme il sied de le faire de tout homme qui dit avoir les pieds sur terre et dans la terre.
Déjà, aussi, les résidus décatis du chiraquisme – on parle de Juppé et des siens – font des appels du pied à la gauche pour leur venir en aide, cherchant qui plus est à déstabiliser l’électorat de droite par cette bonne blague, exprimée par Alain Juppé en personne dans « Le Figaro » sur un terrain préalablement miné par le même Juppé ayant donné son feu vert à François Bayrou pour qu’il déclare réfléchir à nouveau – toujours dans « Le Figaro » – à son destin en cas de victoire de François Fillon : « Je suis le seul à pouvoir rassembler la droite et les centres ». Peur d’un instant de l’électeur de droite – et si c’était vrai ? – avant qu’il ne reprenne ses esprits et ne réalise que l’enjeu de l’élection présidentielle ne sera pas de « rassembler la droite et les centres », mais de rassembler les droites ! Et là, on assurer que pour Juppé, c’est déjà mort !
Dans un pays qui était déjà majoritairement à droite lorsque François Hollande a été élu, et qui l’est encore plus cinq ans plus tard, celui qui opérera l’union des droites, fut-elle circonstancielle, fut-elle contre-nature, fut-elle même aberrante idéologiquement, autour de sa candidature, sera assuré de la victoire, quand bien même il ne réaliserait pas le rassemblement « des centres », formule qui fait sans doute allusion aux multiples chapelles qui ne subsistent que grâce aux mandats que leur octroie la droite et n’en ont même pas la reconnaissance du ventre – sans parler de la capacité à justifier de leur existence par un projet politique cohérent.
A cinq mois du premier tour de l’élection présidentielle, François Fillon prend une très sérieuse option sur la victoire finale et cela, le Front national l’a bien compris, qui, sans même attendre le deuxième tour, pilonne depuis dimanche soir son « projet économique délirant » (David Rachline) et ce « mondialiste ultra libéral » (Florian Philippot), sans se rendre compte que ces arguments auront sur l’électorat filloniste à peu près le même effet qu’un pet sur une toile cirée et qu’il est plus opportun, si l’on veut être efficace, de l’attaquer, comme le fait la « fachosphère » ou « réinfosphère», sur le terrain de l’immigration ou de l’islamisation, sauf à vouloir à tout prix prouver qu’on n’a décidément rien compris au vote de droite.
Pour le moment, et en attendant que chacun révise – ou pas – sa stratégie, il reste un devoir civique à accomplir : liquider le couple Juppé-NKM, afin que le score du candidat des années Chirac soit le moins important possible, de sorte que l’influence de ses soutiens soit la plus faible possible sur cette nouvelle campagne présidentielle qui s’engage.
Puisez dans votre porte-monnaie, piquez dans le petit cochon, débrouillez-vous comme vous voulez mais pour deux euros, payez-vous encore une fois NKM, et payez-vous Juppé ! D’abord la liquidation, après on verra pour l’inventaire.
Marc Bertric