Depuis la tentative d’assassinat, au nom de l’Etat islamique, d’un gardien de prison à Osny, la semaine dernière, l’état des prisons françaises est, une fois de plus, au cœur de l’actualité. Loin des annonces ministérielles et des rapports officiels, il y a la réalité, que nous raconte un surveillant sous couvert d’anonymat. Elle est glaçante.
Deux jours après l’agression d’Osny, dans le Val-d’Oise (voir ci-contre), l’Unsa Justice, le premier syndicat du ministère de la Justice, révèlait dans un communiqué qu’à Villeneuve-lès-Maguelone, dans l’Hérault, « deux détenus de la mouvance islamiste ont tout simplement proposé 5 000 euros et de la résine de cannabis à un autre détenu afin d’assassiner “un bleu“ », c’est-à-dire un maton ! « Cette affaire, bien étouffée par notre grande muette d’administration pénitentiaire, a tout de même été prise très au sérieux par le parquet de Montpellier ! », poursuit le syndicat. Toujours la semaine dernière, à Aiton, en Savoie, huit détenus ont commencé une mutinerie, refusant de réintégrer leur cellule après une promenade, sous l’influence de deux codétenus, fichés S !
Mais qu’importe : la « déradicalisation », via des programmes spéciaux et coûteux – « du cocooning pour les détenus […] des cours de yoga au canoë-kayak aux quatre coins de la France ! », selon l’Ufap-Unsa, le gouvernement y croit encore. Le ministre de la Justice Jean-Jacques Urvoas veut continuer l’expérience. Dans « Le Journal du dimanche » du 11 septembre, il a juste présenté quelques nouvelles mesures pour renforcer la sécurité dans les prisons…
C’est pour évoquer tout cela que nous avons rencontré un surveillant de prison. Nous l’appellerons Sébastien. Il n’est ni un syndicaliste habitué à parler aux journalistes, ni un directeur d’établissement pratiquant la langue de bois pour préserver l’institution et en masquer les faiblesses. Non, Sébastien est un gardien de base et il nous raconte son quotidien.
« Ce surveillant est handicapé à vie »
Sébastien est surveillant pénitentiaire depuis bientôt dix ans au centre pénitentiaire de Moulins-Yzeure, dans l’Allier. Après des années dans les quartiers « classiques », il travaille désormais dans le quartier disciplinaire de la prison. Les détenus dont il a la charge sont particulièrement difficiles : détenus récalcitrants, condamnés à de longues peines, islamistes radicaux, etc. Et il ne le cache pas : « Les prisons, aujourd’hui, ce sont des vraies cocottes-minute ! Ce que nos collègues ont vécu à Osny, c’est notre quotidien. » Et de regretter une médiatisation soudaine et bien tardive pour des problèmes rencontrés depuis des années.
Le quotidien de Stéphane ? « Des menaces, des insultes, des intimidations sur le thème : “Tu verras quand je sortirai !“ Toutes les semaines, il y a des affaires comme celles d’Osny. A Aiton, en Savoie, en mars dernier, un collègue a reçu une casserole d’huile bouillante. Ça n’a pas fait beaucoup de bruit… Mais pourtant, ce surveillant est handicapé à vie. »
Il y a peu, les surveillants de Moulins-Yzeure sont passés « à deux doigts de la catastrophe ». « Des surveillants intervenaient, nombreux, pour porter secours à un détenu qui se faisait prendre à partie par une dizaine d’autres. Ils faisaient barrage et se sont retrouvés face à une meute armée de piquets en bois et de barres en métal, et qui leur lançait des boules de pétanque » ! Une situation explosive qui s’est, heureusement, bien terminée, mais qui a laissé des traces chez les surveillants… « Sur le moment, on n’a pas le temps d’analyser ce qui se passe. » Après, c’est évidemment autre chose.
Faut-il donc armer les gardiens de prison, comme le demande le syndicat FO Pénitentiaire ?
Non, répond Sébastien : « Dans une coursive, ce serait beaucoup trop dangereux pour le surveillant lui-même. » En revanche, il milite pour le Taser, qui rassurerait les gardiens et « aiderait à maitriser les détenus récalcitrants. Mais, la direction ne veut pas en entendre parler », regrette-t-il.
« Pour l’extérieur, c’est une vraie bombe »
L’administration pénitentiaire ? « Elle souhaite juste protéger les détenus » et acheter la paix sociale, en laissant le trafic de drogue prospérer. « La drogue, on sait qu’elle entre par les parloirs. Et pourtant, depuis deux ans, les fouilles après les parloirs ne sont plus systématiques, comme c’était le cas auparavant. En prime, on doit justifier chaque fouille et remplir une paperasse considérable. »
Au début de sa carrière, Sébastien voulait signaler les détenus qui provoquaient leurs surveillants en fumant des pétards juste devant eux. Très vite, on lui a fait comprendre que c’était inutile… Pour un directeur de prison, empêcher la drogue de circuler, ce serait ouvrir la boîte de Pandore. Ce serait s’attirer des ennuis et faire parler de soi. Et nous confirme Sébastien, en langage plus fleuri, moins on parle de sa prison, mieux le directeur se porte…
En revanche, s’il est un sujet sur lequel Sébastien est d’accord avec le ministre de la Justice, c’est à propos du renseignement pénitentiaire. On s’en souvient, en juin dernier, Jean-Jacques Urvoas avait déclaré que dans ce domaine, « tout est à faire ! Tout ! », conséquence directe des quatre années de ministère Taubira… « On fait toujours remonter à notre hiérarchie les informations que nous avons, confirme Sébastien. Mais, dans les faits, cela ne change rien. Il n’y a rien de concret. »
Quant à l’islam en prison, il est omniprésent. On le sait depuis longtemps, « le fait d’être musulman en prison, ça vous offre la sécurité ». Et c’est valable pour tout le monde, même pour les violeurs d’enfants, appelés « pointeurs » dans le langage carcéral et considérés comme la lie des détenus. Les pointeurs subissent pressions, brimades et agressions… Or à Moulins-Yzeure, raconte Sébastien, « l’un d’entre eux s’est converti à l’islam » : « Depuis sa conversion, il ne subit ni pression ni brimade. “C’est un frère“ disent les autres détenus… »
Comme dans toutes les prisons de France, « on a des islamistes radicalisés. Mais depuis que tout cela est médiatisé, ils se font discrets, au moins en apparence. On va avoir du mal à les détecter ». Les isoler comme le propose le ministre ? « Ce serait extrêmement difficile… Les détenus arrivent toujours à communiquer entre eux. »
Les programmes de déradicalisation, notre maton n’y croit pas. D’ailleurs, l’agresseur du gardien d’Osny était incarcéré dans un quartier spécialement réservé à la déradicalisation ! C’est dire si ça fonctionne… « Un exemple. Chez nous, il y a le terroriste Karim Koussa, un ami de Khaled Kelkal. Il peut sortir dans deux ans. Eh bien, il n’a pas changé d’idée, il n’a pas évolué d’un iota. Pour l’extérieur, c’est une vraie bombe. »
Oui, loin des discours ministériels, la réalité n’est vraiment pas rassurante.
Jean Masson