« Il y a une ligne infranchissable, l’Etat de droit », pontifie Manuel Valls, et c’est celui-ci qui interdirait que les islamistes qui n’ont pas commis de crime mais sautent de joie à chaque attentat soient ramassés et internés le temps qu’il le faudra. Pourtant, quand il s’était agi de mettre hors circuit des sympathisants de l’OAS, on n’avait pas eu autant de scrupules…
Les 29 et 30 juillet, les harkis ont retrouvé, à l’occasion du 40e anniversaire de sa fermeture, le camp de Saint-Maurice-l’Ardoise, un camp où ils avaient été parqués à compter de 1962 et jusqu’à sa fermeture définitive en 1976. Quelque 1 200 harkis et leurs familles, vieillards, femmes, enfants, ont vécu là une partie assez misérable de leur vie, séparés du reste de la France par un rideau de barbelés.
Il ne faudrait pas oublier pour autant que ce camp militaire, sis à Saint-Laurent-des-Arbres, dans le Gard, avait connu auparavant d’autres pensionnaires. Ouvert à la fin de la Deuxième Guerre mondiale pour accueillir comme prisonniers les représentants des forces d’occupation capturés avant d’avoir pu fuir le territoire français, il devint, à compter de 1957, un centre d’assignation à résidence surveillée pour les opposants au régime gaulliste. Un temps réservé aux prisonniers FLN, il devient très vite la résidence de partisans de l’Algérie française, suspectés notamment d’être sympathisants de l’OAS, tel Jean Ferré, qui fondera bien plus tard Radio Courtoisie.
Mieux valait prévenir que guérir
La loi des suspects a alors cours, et il n’est nul besoin d’avoir fait preuve d’activisme, encore moins d’avoir été condamné pour faits répréhensibles – pour ne pas parler de terrorisme – pour être interné. La moindre dénonciation suffit à vous envoyer derrière les barbelés – comme plus tard le simple fait d’être harki. Tous ceux qui, de près ou même de loin, apparaissent comme un danger réel ou supposé sont enfermés sous la garde de deux compagnies de CRS. Il y suffit d’une simple décision administrative, sans autre forme de procès ni de preuve.
En revanche, ils partagèrent avec leurs camarades effectivement condamnés des conditions matérielles et morales extrêmement pénibles. Les autorités gaullistes ne reculèrent devant aucun moyen. Certains y perdirent plus que leur jeunesse, et des années qui auraient été mieux employées au service de leur pays, mais jusqu’à leur vie de famille et leur travail. Un certain nombre d’anciens de Saint-Maurice l’Ardoise sont aujourd’hui rassemblés, avec d’autres « activistes » de l’Algérie française, au sein de l’Adimad.
Le camp de Saint-Maurice-l’Ardoise fut ainsi le seul du territoire métropolitain à accueillir, sur une longue période, des personnes pour le seul fait d’être considérées comme des activistes, alors même qu’elles n’avaient pas été condamnées par la justice. Certaines, poursuivies, avaient même bénéficie d’un non-lieu. Il accueillera à ce titre, et dès les premiers mois, plusieurs milliers de personnes, victimes des « pouvoirs spéciaux » décrétés en dehors du cadre judiciaire.
Une simple décision du chef de l’Etat
C’est le 23 avril 1961, dès le lendemain du fameux putsch d’Alger, que De Gaulle décide d’appliquer l’article 16 de la Constitution lui conférant les pleins pouvoirs. Huit jours plus tard, il signe une décision présidentielle par laquelle ces mesures sont applicables à « toute personne qui, par quelque moyen que ce soit, participe à une entreprise de subversion dirigée contre les autorités et les lois de la République ou encourage cette subversion ».
Si le pouvoir gaulliste a prouvé alors sa capacité à réagir, il en va différemment aujourd’hui, où l’ennemi qui sévit sur le territoire national semble pouvoir agir, la plupart du temps, dans la plus parfaite impunité – et en tout cas sans être réellement inquiété, puisque, par exemple, les fameux islamistes « fichés S » sont, dans leur grande majorité, rarement localisés ; encore moins surveillés.
Il y a bien sûr aujourd’hui la volonté manifestée par Manuel Valls de voir suspendre l’arrivée de fonds étrangers permettant la construction de mosquées sur le sol national. Par ce moyen, le premier ministre reconnaît implicitement qu’il est impossible d’opérer une réelle distinction sinon entre islam et islamisme, du moins entre « bons » musulmans et « méchants » islamistes. Mais cette mesure de bon sens ne saurait suffire. A quel titre laisse-t-on courir dans la nature ceux qui, à tout le moins, sont suspects d’êtres des radicalisés, sinon au seul motif que ce sont des musulmans ?
A l’heure où nos proches, à l’heure où nos femmes, nos fils, nos filles – nos prêtres – sont victimes d’une barbarie sanglante perpétrée par les fous d’Allah, qu’est-ce qui empêche d’appliquer aux suspects de radicalisation les méthodes si facilement appliquées hier aux ennemis politiques, en enfermant, le temps nécessaire, ceux que leur parcours, leur classement S ou simplement leur discours peuvent laisser craindre de répéter demain ces atrocités, en égorgeant jusque dans nos bras nos fils, nos compagnes ?
Philippe Ertzig