Il fait chaud, très chaud. La canicule de l’été 2003 avait fait près de 20 000 morts rien qu’en France. Rien de tel cette année. Juste une épidémie… d’« incivilités ». Les victimes de la canicule sont les maîtres-nageurs, les agents de sécurité et les pompiers agressés, les particuliers qui voient leurs piscines envahies et tous ceux qui, demain, devront éponger le coût des millions de litres d’eau déversées sur les trottoirs du « neuf-trois », des quartiers de Marseille ou des banlieues de Lyon ou de Lille.
Au mois d’août 2014, « Minute » avait déjà consacré un article aux violents incidents survenus dans deux des trois centres nautiques de l’agglomération de Châlons-en-Champagne, dans la Marne. Un agent de sécurité, agressé chez lui, avait failli perdre un œil. Nous reprenions alors le témoignage d’une mère de famille, originellement publié par « l’Union » : « Les deux sites sont agréables quand il fait beau mais j’ai fait une croix dessus pendant l’été. Je ne veux pas que mes filles voient cette violence alors que nous sommes là pour nous amuser. Parfois, on ne peut même pas se baigner tant ils font n’importe quoi dans l’eau. »
Dans la Marne, les incivilités et violences s’accompagnaient aussi de revendications communautaires, les jeunes musulmans invoquant alors la « awra », la pudeur, pour refuser de porter autre chose que des shorts longs et réclamer le droit pour les femmes de garder leurs djellabas au bord des bassins. Un « représentant de la communauté maghrébine » avait aussi demandé, en plus du reste, que soit embauché un jeune de la cité comme agent de sécurité. On connaît la méthode et de nombreux commerces mais aussi des collectivités locales y ont cédé, embauchant des « grands frères », médiateurs et autres contrôleurs dans les transports, qui sont surtout le plus souvent (d’anciens ?) petits caïds.
Un an plus tard, la même cause
– l’arrivée de l’été – produit les mêmes effets et la situation est loin d’être apaisée dans la Marne. Le 7 juillet un article de « l’Union » nous apprenait que le nombre d’agents de sécurité avait été tout simplement doublé dans les deux piscines de Châlons-en-Champagne concernées par les intrusions de bandes. A quelque chose malheur est bon diront les optimistes, au moins les exactions de la racaille contribuent-elles au développement de l’emploi saisonnier…
La Suisse traque les « zonards français »
Pour la seule semaine écoulée, on dénombre des dizaines d’articles dans la presse quotidienne régionale faisant état de troubles ou de violences, de plus ou moins grande intensité, dans des piscines publiques. Nous nous sommes livrés à une recension (non exhaustive).
Le dimanche 5 juillet à Albi, les forces de police ont dû intervenir pour évacuer une trentaine de jeunes entrés en force à la piscine Atlantis, mais aussi pour protéger la population. Dans la soirée, plusieurs poubelles et véhicules ont été incendiés en représailles, et les policiers et les gendarmes arrivés en renfort ont été contraints d’établir des barrages filtrants autour du quartier.
Le même jour, c’est à Delle (Territoire-de-Belfort) qu’une bagarre a éclaté entre une quarantaine de protagonistes appartenant à deux bandes rivales de Montbéliard, distant d’une vingtaine de kilomètres, faisant deux blessés. Quatre jours plus tard, le journal suisse « 20 Minutes » consacrait un article aux « zonards français surveillés à la piscine de Porrentruy ». La police suisse s’était trouvée contrainte de filtrer les entrées de la piscine. Les « baigneurs français qui ne respectaient pas les consignes vestimentaires et comportementales » étaient en fait les mêmes que ceux qui s’étaient battus à Delle ; ils avaient juste traversé la frontière.
Le lundi 6 juillet, à Ardentes près de Châteauroux, dans l’Indre, un affrontement a tourné à l’émeute : 60 personnes se sont affrontées à l’extérieur puis à l’intérieur de la piscine, nécessitant l’intervention de vingt-cinq gendarmes. Il y a eu des blessés qui ont gentiment été transportés à l’hôpital, lequel leur a fourni un nouveau terrain de jeux : les affrontements ont repris dans l’établissement hospitalier !
Deux jours plus tard, le mercredi 8 juillet, c’est le centre nautique Roger-Couderc de Saint-Chamond dans la Loire qui a été fermé préventivement suite aux violences survenues la veille à l’encontre des usagers et des personnels de la piscine. La ville d’Antoine Pinay n’est décidément plus ce qu’elle était… Toujours la même semaine, à Lyon, ce sont les personnels des piscines de Gerland et de Mermoz qui ont exercé tour à tour leur droit de retrait face aux violences. Idem à Saint-Etienne, avec là aussi la fermeture de deux piscines.
Des violations de propriétés privées
Il ne s’agit ici que de quelques exemples parmi la multiplication des cas, et les intrusions de bandes ne se limitent pas aux piscines publiques mais ciblent aussi de plus en plus les piscines privées de particuliers ou de résidences.
Le 23 juin, on pouvait par exemple lire sur le site internet de la radio France Bleu : « Le phénomène d’intrusion dans les piscines privées, notamment dans les résidences à Toulouse, est très fréquent. Mais l’un de ces squats sauvages s’est mal terminé lundi après-midi aux Argoulets : un habitant a été passé à tabac par un groupe d’adolescents et des mères ont été giflées devant leurs enfants. » Dans « la Dépêche », un policier expliquait le 25 juin : « Nous recevons de plus en plus d’appels pour des personnes dont les piscines sont squattées. On ne peut pas intervenir à chaque fois. » Ça fait du bien de se sentir protégé…
Et quand on ne trouve pas de piscine – publique ou privée – à « squatter », que peut-on faire ? La solution est évidente : créer sa propre piscine ! Les images d’enfants jouant autour des bouches d’incendie semblent être tirées de ces vieilles photos en noir et blanc des rues de Harlem, à New York, et pourtant il s’agit de rues françaises – ou presque. Le 5 juillet, on pouvait lire sur le site de France Télévisions : « Comment se rafraîchir durant la canicule ? La question était sur les lèvres de nombreux Français ces derniers jours. En banlieue parisienne et dans la métropole lilloise, des petits malins ont vandalisé des bouches à incendie pour s’offrir des baignades improvisées. »
30 millions de litres d’eau déversés dans les caniveaux
Le phénomène a démarré à la fin du mois de juin, apparemment du côté d’Aubervilliers. Le vendredi 3 juillet, ce sont pas moins de 300 ouvertures de bouches d’incendie qui ont été recensées en Seine-Saint-Denis. Le même jour, on en dénombrait aussi une centaine du côté de Lille, Roubaix et Tourcoing. Face à la situation, les mairies de Pantin (Seine-Saint-Denis) et d’Asnières (Hauts-de-Seine) ont pris des arrêtés municipaux interdisant l’utilisation des bouches d’incendie. « Les contrevenants risquent 9 000 euros d’amende, soit le prix de 2 000 mètres cubes d’eau et de la réparation des bouches », a détaillé « le Parisien ».
Le maire de Tourcoing a pris des mesures semblables mais elles ne semblent pas vraiment porter leurs fruits. Dans « Nord Eclair », un « jeune » témoigne : « On fait ça pour une raison très simple : ces jeunes n’ont pas les moyens de se payer la piscine, et encore moins de partir à la mer ou en vacances. Alors on continuera tout l’été s’il le faut. Peu importent les risques de sanctions. »
Attention, ralentir, piscine sur la chaussée !
Sur internet, des photos et des vidéos délirantes circulent où l’on voit des dizaines de jeunes, enfants et adolescents, qui s’amassent autour des bouches d’incendie ou s’ébattent… dans des piscines de jardin en plastique – volées ? – remplies d’eau, installées au beau milieu des tours, sans que nul n’intervienne pour faire cesser ce chaos que ne goûtent pas les élus, ni les habitants qui payent des impôts, car l’eau n’est pas gratuite. Le jeudi 9 juillet, « la Voix du Nord » titrait sur 30 millions de litres d’eau déversés dans les caniveaux, tandis qu’en région parisienne, on évoquait la perte de 15 millions de litres par heure.
Et les interventions policières pour tenter de faire cesser les dégradations se soldent chaque fois par des violences et des caillassages. C‘était notamment le cas jeudi dernier à Bron près de Lyon où « selon la sûreté départementale du Rhône, une vingtaine d’individus ont tenté de leur couper la route avec une barrière métallique avant de leur jeter des projectile.s »
C’est pourtant dans le même département du Rhône (tout comme dans la Drôme, l’Ardèche, l’Yonne et la Côte-d’Or) que des mesures de restriction d’eau ont été décidées par les préfectures dans plusieurs secteurs, pour faire face à la sécheresse. Des mesures annoncées vendredi 10 juillet, au lendemain même de ce caillassage à Bron. L’arrêté préfectoral stipule que l’arrosage des jardins, espaces verts et espaces sportifs est interdit entre 8 heures et 20 heures, impose la réduction de 25 % des usages agricoles et interdit totalement – c’est là que c’est presque drôle… – le remplissage de piscines !
Laissons le mot de la fin au préfet de la Drôme, département voisin du Rhône, dont on ne sait s’il pratique l’humour noir : « Il est impératif que l’ensemble des usagers de l’eau mette en œuvre des pratiques économes en matière de consommation d’eau. »
Lionel Humbert