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Le Malraux des fauchés

Pour une fois qu’il ne s‘est pas pris des trombes d’eau sur la tronche, il faut s’estimer heureux. On commençait à être habitué à le voir tout dégoulinant, notre président, les cheveux plaqués sur les tempes, les lunettes embuées. Lors de la commémoration des soixante-dix ans de la Libération à l’île de Sein, en août dernier, on entendait carrément la pluie et les rafales de vent fouetter le micro. On en était à se demander s’il n’allait pas pousser la plaisanterie jusqu’à faire installer des mini essuie-glaces sur ses carreaux. Heureusement, pour le discours du Panthéon mercredi dernier, le protocole a enfin eu l’idée de faire installer un petit abri au-dessus du pupitre. Du coup, il a fait grand soleil.
Quatre résistants au Panthéon : deux hom­mes, deux femmes ; deux catholiques, deux francs-maçons. Tout le monde il est content. On reconnaît la patte synthétique du premier secrétaire du PS.
La panthéonisation des grands anciens, c’est pourtant l’exercice présidentiel taillé sur me­sure. Une petite pause dans le délitement des choses. La grande pose du garant de l’unité de la nation. Ça aurait pu être grandiose, ça n’a pas dépassé la petite magouille de sous-préfec­ture.
Il paraît qu’il a mis des mois à écrire son discours d’une demi-heure, notre nouveau Malraux. Si l’on ne peut reprocher à un chef d’Etat de n’avoir aucun talent littéraire, on a le droit d’exiger de lui qu’il ait au moins le sens de l’Histoire. Mais que fallait-il attendre d’un type photographié en maillot de bain en train de lire L’Histoire de France pour les nuls ? Le résultat, c’est que Jean Zay soutiendrait aujourd’hui la réforme scolaire de Najat Vallaud-Belkacem, Germaine Tillion se mobiliserait pour les migrants venus d’A­frique, Pierre Brossolette militerait pour un choc de simplification et Geneviève de Gaulle Anthonioz plaiderait pour plus de solidarité. « L’histoire nous élève », a pris soin d’ajouter le prince-philosophe.
La grande affaire, ces temps-ci, c’est la République. République par ci, République par là, elle est partout (c’est-à-dire nulle part). On l’évoque comme un mantra, un totem, une divinité protectrice. Tout le monde est républicain, personne ne l’est jamais assez. Il n’y a pas plus républicains que les socialistes mais voici que la droite fait une OPA sur les mots et leur coupe l’herbe sous les pieds. Hormis le tropisme américain de Sarkozy, le nouveau nom de l’UMP dévoile évidemment la tactique de la prochaine élection présidentielle où le candidat des « Républicains » compte bien affronter celui du Front national au second tour et faire jouer le « sursaut » du même nom.
Il est pourtant bien connu que c’est lorsque l’on perd quelque chose que l’on se met à le revendiquer bruyamment. Quand un homme politique passe ses journées à clamer qu’il est honnête, c’est généralement qu’il est au seuil de la prison. Quand on éprouve le besoin de crier dans les rues qu’on est fiers, c’est qu’on se sent peu de chose. Quand on évoque la République à chaque phrase, c’est que celle-ci n’est plus qu’un souvenir folklorique. L’erreur des Républicains, englués dans leur histoire héroïque, est de proclamer sans cesse « la République en danger » en imaginant que le danger vient de l’extérieur quand il vient principalement de l’intérieur, un long pourrissement des grands principes qui la constituent. Confrontée à une mutation démographique sans précédent de la population française, la République se couche chaque jour un peu plus, se vide chaque jour un peu plus de sa substance, et plus elle se couche et plus elle se vide, plus elle est brandie bruyamment.
La République n’est pas « naturelle ». Elle n’a rien d’évident et d’universel. Elle est une organisation historique qui a trouvé un mode original de faire coexister pacifiquement les différentes composantes d’un peuple turbulent et querelleur, spécialiste ès guerre civile. Elle est un apprentissage de règles. Elle a même été une mystique sous la plume d’un Péguy pour qui elle allait continuer et transcender l’œuvre des rois. Elle s’est imposée par la force, parfois par l’injustice. Mais nos républicains d’aujourd’hui sont tétanisés par le complexe du colon, n’osant imposer aux nouveaux arrivants ce qui a été imposé douloureusement aux vieux Français. Et les mêmes qui bêlent à la République autorisent toutes les violations à la même République, que ce soit dans le domaine de la sécurité, de la laïcité ou de l’éducation.
Les Républicains des deux rives ont donc renoncé par lâcheté et fatigue à leur République et ce n’est pas le moindre des paradoxes que de voir l’unique parti essayant de relever le défi républicain être aussi le seul que ses adversaires qualifient d’antirépublicain. Comme un grand carnaval, la campagne à venir se jouera donc entre des Républicains qui ne croient plus en la République et des antirépublicains qui croient en la République. Un vrai casse-tête pour l’électeur qui devra choisir entre des symboles vidés de leur sens et un sens expurgé de ses symboles. La France est décidément paradoxale.  

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