En remplaçant l’UMP par Les Républicains, Nicolas Sarkozy pense à 2 017 et tente de placer Marine Le Pen hors du champ de la République. Comme tout le monde. Dommage pour lui : les « valeurs républicaines » ne disent plus rien à personne. Pire : la République ne fait plus recette, alors que la France, si.
Les adhérents de l’UMP sont disciplinés. Aux trois questions qui leur étaient posées, ils ont dit oui. Oui aux nouveaux statuts (à 96,34 %). Oui à la liste (pléthorique) de candidats pour la composition du nouveau bureau politique (à 94,77 %). Oui au nouveau nom du parti, Les Républicains, mais seulement à 83,28 %, un peu comme on fait contre mauvaise fortune bon cœur. Et ces résultats, comme pour tous les scrutins, ne tiennent compte que des suffrages exprimés. Si l’on prend en compte l’ensemble du corps électoral, c’est-à-dire la totalité des adhérents à jour de cotisation au 31 décembre 2014, la dénomination Les Républicains n’a été approuvée que par 38 % des membres de l’UMP. On l’avait déjà vu lors du récent vote pour départager les motions du Parti socialiste : les élections internes des partis politiques sont tout autant favorables à l’abstention que les scrutins nationaux.
Mitterrand avait tenté le coup… en 1965
Va donc pour Les Républicains qui est aussi emphatique que circonstanciel dans la mesure où sa vocation, son unique vocation, est de servir de slogan indépassable et de cri de ralliement au candidat qui portera ses couleurs à l’élection présidentielle de 2 017 dans la double hypothèse : 1. où il serait présent au second tour ; 2. où il devrait affronter Marine Le Pen, la présidente du Front national étant toujours accusée de n’être pas républicaine sans que cela ne soit jamais démontré. C’est ainsi qu’en 1965, François Mitterrand, candidat contre De Gaulle, s’était autoproclamé, pour le deuxième tour, « candidat des Républicains » pour faire croire que le chef de l’Etat sortant, contre lequel il avait publié l’année précédente Le Coup d’Etat permanent, était un danger pour la République…
En s’intitulant Les Républicains, l’UMP pose au passage comme postulat qu’elle est républicaine sans jamais avoir eu besoin de le démontrer, ce qui mériterait pourtant quelques éclaircissements, surtout depuis que l’on sait que Roland Dumas, alors président du Conseil constitutionnel, la plus haute institution de la République, garante de ses institutions, a validé en 1995 les comptes de campagne de Jacques Chirac (et ceux d’Edouard Balladur) alors qu’ils étaient « manifestement irréguliers ». « Annuler l’élection de Chirac, a-t-il raconté en janvier dernier, aurait eu des conséquences terribles. J’ai pensé à mon pays. Je suis un homme de devoir. Nous avons finalement décidé, par esprit républicain (sic), de confirmer, à l’unanimité au deuxième tour, son élection présidentielle. »
Un autre paradoxe est que Les Républicains succède à l’UMP, qui avait justement été créé en urgence absolue le 23 avril 2002, deux jours après la qualification de Jean-Marie Le Pen pour le deuxième tour de l’élection présidentielle, par Jacques Chirac et Alain Juppé, afin d’unir des formations de droite (principalement le RPR et Démocratie libérale) pour contenir la menace lepéniste, soit très exactement la raison qui préside à la création des Républicains, au-delà du prétexte qui a consisté à dire qu’il fallait tourner la page d’un parti un peu trop cité dans les « affaires » – comme si Nicolas Sarkozy allait lui-même changer de nom pour avoir une chance d’être réélu…
Qui, en 2017, parlera de la France ?
Sur France 2 dimanche soir, Sarkozy a tenté d’expliquer pourquoi, dans son discours du congrès fondateur des Républicains, il avait employé plus de quatre-vingts fois le mot République. Il n’y est pas parvenu. Il n’a pas réussi à dire en quoi la République, simple forme institutionnelle, doit être centrale dans le débat politique français à l’heure où plus personne, en dehors de monarchistes qui n’ont guère d’audience, ne la conteste.
L’ancien chef de l’Etat a évoqué les « valeurs » qui méritaient d’être défendues, en ce sens qu’elles seraient contestées : il a cité le mérite, l’effort, la laïcité et « une certaine forme d’autorité ». Et c’est tout. Pour la simple raison que, comme l’écrivait Denis Tillinac, « les valeurs républicaines, ça n’existe pas » : « Le mot “république” ne recèle en soi aucune “valeur”, et en conséquence il n’a pas la moindre vertu morale. »
Nicolas Sarkozy cherchait pourtant et il a fini par dire qu’en s’élevant à la hauteur de la République, cela permettait d’« aller au-delà du seul débat droite/gauche ». Julian Bugier, qui l’interviewait, n’a pas eu la présence d’esprit de lui rétorquer que c’était précisément la démarche de Marine Le Pen. Que celle-ci, depuis qu’elle suit fidèlement la feuille de route que lui a tracé Florian Philippot – et même depuis qu’elle a découvert que les propositions du Front national dédiabolisé tenaient parfaitement dans le cadre de la République –, entendait justement dépasser ce même clivage par l’exaltation de la République.
Paradoxe, encore une fois, d’une période où la perte des repères favorise les chassés-croisés : c’est Jean-Marie Le Pen lui-même qui, durant la campagne présidentielle de 2007, était passé de la défense de la France à celle de la République avec l’insuccès que l’on sait alors que Nicolas Sarkozy, qui allait être élu, ainsi que Ségolène Royal, passaient eux de la défense de la République à celle de la France.
Dix ans plus tard, la totalité des candidats potentiels pour la présidentielle de 2 017 n’a plus que le mot République à la bouche, mantra psalmodié jusqu’à en écœurer les Français qui, dans un récent sondage Ifop pour Atlantico, répondaient à 65 % ne plus être touchés par les mots République et « valeurs républicaines » car « ces termes ont été trop utilisés et ont perdu leur valeur et leur sens ».
Cette même étude révélait que les Français étaient plus réceptifs quand les responsables politiques leur parlaient d’« identité nationale » plutôt que de République… Qui, en 2017, leur parlera de la France ?
Antoine Vouillazère