Pourquoi attendre dimanche soir ? Plusieurs enseignements de ces élections départementales sont déjà connus, du moins pour leurs grandes lignes, et ils sont tout aussi intéressants que les résultats, candidat par candidat et parti par parti, corrigés des variations dominicales. Il reste tout de même quelques belles incertitudes.
Voilà un scrutin qui fera date, et à plus d’un titre ! Avant même que les électeurs aient voté – du moins une partie d’entre eux, suffisante pour que le scrutin ait les apparences de la légitimité –, on n’en finit pas d’en égrener les leçons, que l’on connaît déjà.
La première leçon, qui n’est pas la moindre, est qu’il est tout à fait possible de tenir un scrutin sur l’ensemble du territoire français sous le nom d’élections départementales alors que l’on voulait encore, il y a quelques mois, supprimer les départements – ou du moins leurs assemblées – et qu’on ne sait toujours pas quelles seront les compétences des départements finalement maintenus, ni si leur durée de vie est assurée au-delà du prochain hiver ! Votez, on s’occupe du reste !
Petit rappel pas inutile dans un pays dont les habitants – et singulièrement les leaders politiques, tous ! – ont la mémoire singulièrement courte. En 2010, sous Nicolas Sarkozy donc, la majorité, principalement UMP, adopte une réforme des collectivités territoriales qui prévoit qu’en 2014, les conseilleurs généraux seront remplacés par les conseillers territoriaux qui siègeront à la fois au conseil général et au conseil régional. De toutes les réformes menées sous le précédent quinquennat, ce n’était pas la plus bête, même si elle était mal ficelée.
François Hollande, élu en 2012, jette la réforme territoriale aux orties comme tout ce qu’a fait Nicolas Sarkozy. Puis il annonce la fin des assemblées départementales sous les applaudissements d’une partie des bancs socialistes, celle constituée par ceux qui ne sont pas élus dans lesdits conseils généraux, avant que ne se déclenche la mobilisation des radicaux de gauche et des élus socialistes ruraux, qui réclament le maintien des départements ruraux. Et, au final, redécoupage général des cantons, maintien de toutes les assemblées départementales sur les compétences desquelles il sera toujours temps de se mettre d’accord, et élections générales pour 2 015 avec deux fois moins de cantons mais deux fois plus d’élus ! Le plan de modernisation de l’Etat bat son plein…
Le département, on en parlera… une autre fois
La deuxième leçon de ce scrutin abracadabrantesque est que, durant la campagne qui s’achève, personne, absolument personne – UMP, PS, FN – n’a parlé d’enjeux locaux. Les socialistes, qui tiennent la majorité des départements, ont bien essayé de faire valoir leur bilan – qui n’est pas toujours médiocre – mais n’y ont pas réussi tant ils ne sont plus audibles, tant aussi la droite, UMP et FN, a transformé ce scrutin en scrutin national, pour ou contre le parti au pouvoir. Présenté comme ça, forcément, il y a peu de volontaires pour voter pour…
Les compétences des départements – telles qu’on les connaît aujourd’hui – sont pourtant de celles qui intéressent les habitants, mais comme l’a noté Thomas Guénolé pour le Figarovox, « pour ces élections départementales, la classe politique nationale est en service minimum avec un seul thème d’expression : la montée du FN. Pendant ce temps, au niveau local, les candidats des partis sont en service minimum en termes de contenu : zéro programme, ou pas grand-chose. Pourtant, au vu des compétences des départements, la classe politique pourrait faire des propositions sur des thèmes qui intéressent des milliers, voire des millions de gens ».
Le politologue cite les caisses d’allocations familiales, qui sont sous la tutelle des conseils départementaux, la gestion et le prix de l’eau, la vétusté des collèges, etc. Il aurait pu parler de la politique culturelle, de la nécessité (ou pas) de la clause générale de compétence, des questions fiscales et d’endettement qui, en raison du vent porteur, sont réduites, sans autre débat, à la phrase magique : « Le département est trop endetté, les impôts sont trop élevés. » Sans oublier qu’on ne gère pas forcément le département de la Dordogne comme celui du Bas-Rhin et que les problèmes que rencontre un élu corrézien ne sont pas forcément ceux d’un élu varois.
Et comme le FN, lui non plus, ne veut pas aborder les questions purement locales (par refus de tout particularisme, par volonté de nationaliser au maximum une campagne conçue uniquement comme une étape sur la route de 2 017 et aussi, disons-le, parce que rares sont les candidats qui maîtrisent les dossiers ou à qui la direction nationale laisse la latitude de s’en emparer), l’objet du scrutin – dé-par-te-men-tal ! – est purement et simplement escamoté.
Les raisons de ne pas aller voter
La troisième leçon, qui n’est peut-être pas sans rapport avec les deux précédentes, est que le premier vainqueur du scrutin, en nombre… d’absence de voix, va être l’abstention. On glosera, dimanche soir, sur le taux précis, record ou pas, supérieur à telle année ou pas, prévu comme plus élevé qu’il ne fut, etc. mais ces questions arithmétiques sont de peu d’importance quand un électeur sur deux (a priori, plus d’un électeur sur deux) ne va pas voter.
Une étude de l’Ifop, réalisée à la demande de « Sud-Ouest Dimanche », annonce un taux d’abstention de 57 % – à peine plus qu’en 2 011 – qui s’expliquerait par trois facteurs : 38 % des abstentionnistes (potentiels) estiment que « ces élections ne changeront rien à leur situation » – ce qui est parfaitement exact, du moins pour le court terme qui est devenu la seule mesure de valeur. Toutefois, on peut se demander s’il n’est pas du devoir de la classe politique d’intéresser les électeurs à des enjeux plus importants que leur immédiat intérêt.
C’est avec un certain étonnement que l’on note, parmi ces abstentionnistes que l’Ifop qualifie de désabusés, une surreprésentation des ouvriers et des électeurs de Marine Le Pen à la présidentielle de 2012, marque qu’en cas de victoire de celle-ci en 2017, il lui faudra, et vite, donner des motifs personnels de satisfaction à son électorat, sous peine de subir un rapide trou d’air. Marine Le Pen et son Monsieur Sondages devraient se pencher sur cette singularité.
Selon ce même sondage, 32 % des abstentionnistes (potentiels) disent vouloir « manifester leur mécontentement à l’égard des partis politiques » – FN inclus donc. Et 16 % estiment qu’aucun candidat ne défend leurs idées. Rares sont en effet les candidats non issus de l’UMP (ou de l’UDI), du PS, du FN, d’EELV ou du Front de gauche – parfois sous la forme divers droite ou divers gauche –, ce qui donne une offre plus réduite qu’à une élection présidentielle. On peut dire que les électeurs ne sont jamais contents, on peut constater aussi que l’offre se réduit et qu’en prime, comme, à l’exception du FN, elle tend à se confondre, cela ne donne pas vraiment envie d’aller voter, du moins au premier tour où l’on est censé pouvoir choisir.
Le score inédit du FN
La quatrième leçon de ce scrutin est que le Front national réalise un score inédit et époustouflant, comme jamais il n’en a réalisé, de toute son histoire, à aucune autre élection nationale, score rendu possible par la présence de candidats FN dans 95,2 % des cantons métropolitains représentant 98,03 % des Français (chiffres donnés par le secrétaire général du FN, Nicolas Bay). Le FN n’est absent que de 98 cantons métropolitains (sur 1 995), pour la plupart situés dans des départements ruraux.
Il sera temps d’étudier, département par département, la carte du vote FN, pour en voir plus précisément les contours, mais le score est d’autant plus remarquable que les candidats étaient parfois rigoureusement inconnus de la population cantonale qui est allée voter pour eux sans les avoir jamais vus, hormis sur l’affiche ! Dans l’implantation frontiste, les départementales de 2 015 sont une étape, la première de cette importance dans l’histoire du parti, mais seulement une étape. Pour les combats à venir – et notamment pour la « mère des batailles » –, le maillage est à poursuivre car il demeure des pans entiers du territoire qui n’ont pas vu un militant FN depuis des lustres.
Voilà ce que l’on peut dire aujourd’hui car, pour le reste, il faut attendre les résultats et c’est très bien ainsi ; la démocratie conserve quand même une part d’incertitude. Le score des candidats FN au premier tour, dans un certain nombre de départements (Vaucluse, Gard, Var, Somme, Aisne, Oise, etc.), déterminera leur possibilité d’être élus au second tour (quel sera leur potentiel de mobilisation ?), couplé avec un autre facteur, déterminant : dans combien de duels avec le PS le FN figurera-t-il et dans combien de duels affrontera-t-il l’UMP ?
Valls veut éviter un tsunami bleu
Pour l’électeur frontiste, adversaire de l’« UMPS » (« Tout ça c’est du pareil au même »), la différence n’a que peu d’importance. C’est pourtant là que vont se jouer en grande partie I. la possibilité pour le FN de conquérir des départements ; 2. la possibilité pour l’UMP de réaliser la passe de deux après sa victoire aux municipales de l’an dernier, car si le FN est le vainqueur du premier tour, l’UMP a bien l’intention d’être celui du second, en raflant un maximum de conseils départementaux pour en détenir l’écrasante majorité dans une proportion, espère-t-elle, jamais vue depuis 1992.
C’est là que la stratégie (pitoyable) de Valls prend tout son sens. Durant une semaine, le chef du gouvernement, épaulé par Najat Vallaud-Belkacem puis par Christiane Taubira, a multiplié les propos haineux contre le prétendu danger que le score du Front national pourrait faire courir à la France dans l’unique but… de mobiliser les électeurs socialistes ! Dans le but d’obtenir de ceux-ci que, quoi qu’ils pensent du gouvernement, ils aillent tout de même voter le 22 mars pour le candidat socialiste, non pas pour que celui-ci sauve la République, mais pour qu’il se retrouve deuxième dans l’ordre d’arrivée des candidats, ne coifferait-il l’UMP que d’une seule voix.
L’abstention attendue (plus de 50 %) couplée avec le seuil de qualification pour le second tour (12,5 % des inscrits) fait que, pour passer le cap du premier tour, un candidat devra recueillir plus de 25 % des suffrages. Parfois plus. Il y aura donc très peu de triangulaires. La plupart du temps s’affronteront au deuxième tour les deux candidats arrivés en tête au premier. Et c’est tout. Or les sondages nationaux donnent le FN à 30 %, l’UMP alliée à l’UDI à 29 % et le PS à 19 % ! La question n’est plus de savoir de combien de seconds tours le PS sera éliminé, mais dans combien d’entre eux il pourra se qualifier !
C’est pour cela que Valls a joué son va-tout en hurlant à la République en danger, dans le seul espoir que cela convainque des électeurs socialistes à se rendre aux urnes. Parce que si plus de la moitié des seconds tours opposaient l’UMP et le FN, cela ferait certes le jeu de l‘UMP, qui n’attend que ça, mais cela ferait franchement très mauvais effet pour le Parti socialiste. Valls sait que la vague sera bleue. Il veut juste éviter qu’elle ne soit tsunami…
Antoine Vouillazère