Le porc provoquant une crise de foi chez les musulmans, les cantines scolaires, au mépris de la laïcité, proposent des menus aménagés. Mais certains maires ont décidé de mettre les pieds dans le plat : du porc sinon rien ! Et cochon qui s’en dédie.
C’est entré dans les us et coutumes : toutes les cantines scolaires de France et de Navarre proposent désormais aux élèves de confession musulmane (ou juive) un plat de substitution quand il y a du porc au menu. Enfin, presque toutes… Certains maires de petites communes ont décidé de réagir et de faire du porc un unique plat de résistance.
Ainsi depuis la rentrée, à la cantine de Lagny-le-Sec, village picard de 2 000 habitants près de Senlis, c’est du lard ou du cochon. La décision a été prise par le conseil municipal emmené par le maire UMP Didier Doucet afin de « supprimer l’offre de repas répondant à des convictions philosophiques ou religieuses » car « la cantine est un lieu soumis au principe de laïcité ». A Sargé-lès-Le Mans, commune sarthoise de 3 500 habitants, on applique la même recette : quand le porc est au menu, aucun plat de substitution pour ceux qui ignorent que dans le cochon tout est bon. Pour défendre ce choix, le maire (divers droite) Marcel Mortreau a déclaré que la cantine était « un service public basé sur le principe de la laïcité » devant respecter « le principe de neutralité religieuse. »
Mangez laïc, mangez halal !
Or ces deux maires sont aujourd’hui montrés du doigt par… l’Observatoire de la laïcité ! Cette officine, placée sous l’autorité du premier ministre pour assister « le gouvernement dans son action visant au respect du principe de laïcité en France », estime que les deux édiles n’ont rien compris à la laïcité ! Le 23 octobre, l’Observatoire a ainsi pondu un communiqué pour dénoncer « la mauvaise interprétation de la laïcité par la mairie de Lagny-le-Sec ». Et rebelote le 10 décembre pour épingler Sargé-lès-Le Mans : « L’Observatoire de la laïcité rappelle que la laïcité ne saurait être invoquée pour refuser la diversité de menus. »
Pour justifier qu’en France on puisse cuisiner en fonction du Coran, l’Observatoire avance que « les cantines scolaires proposent généralement une diversité de menus » et que cette offre ne répond pas à des prescriptions religieuses « mais à la possibilité pour chacun de manger ou non de la viande » ! Bref les menus ne seraient pas composés en tenant compte des convictions religieuses des enfants, mais uniquement pour satisfaire leurs préférences culinaires ! C’est l’art d’accommoder la laïcité à la sauce de l’hypocrisie.
Heureusement, les avis de l’Observatoire ne valent pas tripette et sont juste publiés pour amuser la galerie. Car les maires de Lagny et Sargé sont dans leur bon droit quand ils imposent dans les cantines un plat unique, quelle que soit la religion des jeunes consommateurs.
Dans un rapport du 28 mars 2013, le Défenseur des droits (qui était alors feu Dominique Baudis) avait ainsi souligné qu’« aucun texte législatif ou réglementaire n’impose aux communes un aménagement des repas en fonction des convictions philosophiques ou religieuses des parents ». Il précisait alors que « le refus d’une collectivité d’adapter un repas en fonction des convictions religieuses des familles […] ne saurait être assimilé à une pratique discriminatoire ». Et il s’appuyait sur une circulaire du ministère de l’Intérieur du 20 août 2011 indiquant que « la neutralité des services publics implique que la prise en compte des différences de situation fondées sur les convictions religieuses ne peut remettre en cause le fonctionnement normal du service ».
Les tours de cochon ne manquent pas
Aucun texte n’impose donc d’aménager les menus en fonction des convictions religieuses mais, dans les faits, les convictions religieuses remettent trop souvent en cause le fonctionnement normal du service. Il suffit de regarder ce qui se passe à Paris.
Avec la collaboration de la Caisse des écoles qui a pour mission l’élaboration des menus, chaque maire des vingt arrondissements de la capitale est responsable de la restauration scolaire. Et dans tous les arrondissements, quand il y a du porc au menu, un plat de substitution est proposé aux musulmans ou aux juifs. Mais selon l’arrondissement et la couleur politique de son maire, cette atteinte à la laïcité est présentée différemment.
Sur le site internet des cantines du XIIIe arrondissement, dirigé par le socialiste Jérôme Coumet, on joue plutôt franc jeu. S’il est annoncé qu’« un menu identique est servi dans toutes écoles », à la rubrique « bon à savoir », il est précisé qu’il y a toutefois des exceptions religieuses : « Lorsque la Caisse des écoles sert du porc, un menu de substitution est proposé. »
En revanche, sur le site des cantines du XVe arrondissement, dirigé par Philippe Goujon (UMP), il faut éplucher le règlement de la cantine : « La restauration scolaire est un service facultatif et laïc. » Ça commence bien mais ça ne dure pas : « Les parents s’engagent à respecter les menus proposés sans autre variante que les menus sans porc. » Donc, en termes plus clairs, quand il y a du porc au menu, une variante est proposée.
Dans la majorité des cantines scolaires, ça se passe comme ça. Mais à Marseille, le sénateur-maire UMP Jean-Claude Gaudin, pour éviter toute polémique, s’est montré plus malin. En 1996, une famille de musulmans avait porté plainte devant le tribunal administratif parce que les cantines municipales ne servaient pas de viande halal. Fondée sur des motifs religieux, la plainte avait été rejetée. Mais Gaudin en a tiré les leçons. Désormais, quand il y a du porc ou de la viande au menu (qui ne peut forcément pas être garantie halal ou casher), un second plat (poisson ou omelette) est toujours proposé. Et ce n’est pas présenté comme un plat de substitution mais comme un choix proposé à ceux qui n’aiment pas la viande.
Sur le Vieux Port, on appelle ça un tour de cochon.
Pierre Tanger