Jean-Marie Le Pen… ou comment s’en débarrasser ? La question, si elle n’a jamais été formulée publiquement, est bien présente dans l’esprit de Florian Philippot et de quelques autres du « premier cercle » mariniste. La stratégie est prête.
Statutairement, Marine Le Pen ne peut rien contre son père. En janvier 2011, lors du congrès qui l’a portée à la présidence du FN, il a été élu, par acclamations de la salle, président d’honneur du Front national, ce qui lui donne le droit de siéger dans toutes les instances du mouvement et d’y exprimer son opinion, bureau exécutif inclus. On la voit mal le traduire devant la commission de discipline
–dont il est membre de droit… – et réclamer son exclusion.
Une fenêtre de tir se présente pourtant pour Marine Le Pen : le XVe congrès du parti, qui aura lieu dans cinq mois, les 29 et 30 novembre 2014, à Lyon. Toutes les instances y seront renouvelées… selon l’embryon actuel d’ordre du jour, en vertu duquel Steeve Briois, le secrétaire général du FN, a déjà lancé un appel à candidatures pour l’élection du comité central.
Le RBM pour succéder au FN ?
Jusqu’à l’affaire de la « fournée », ce congrès s’annonçait sans surprise : réélection assurée de Marine Le Pen à la tête du FN – sans doute même sans rival, contrairement à 2 011 –, rajeunissement des dirigeants au sein du comité central et du bureau politique, passation de pouvoir entre Steeve Briois et Nicolas Bay. Seules inconnues : l’ordre d’arrivée des candidats, le poids des « gollnischiens » – ils pesaient encore 45 % des élus au comité central en 2 011 – et la popularité de Florian Philippot auprès des militants. Mais maintenant ?
Jean-Marie Le Pen a réaffirmé lundi qu’il avait été élu « président d’honneur à vie » du Front national, ce qui, dans une hypothèse minimaliste, ne donne qu’une option à Marine Le Pen, qui ne peut confier ce titre à personne d’autre : la suppression pure et simple de cette fonction de président d’honneur du FN.
L’autre option, récurrente, est, de nouveau sur la table. Elle consiste… à en finir avec le Front national ! A tuer le FN… pour tuer le père. De transformer ce 15e congrès en « Merci Jean-Marie, vive Marine ! », et à substituer au Front national un nouveau parti, auquel on ne pourra reprocher aucun historique fâcheux. Une nouvelle organisation politique dans laquelle Jean-Marie Le Pen n’aurait aucun rôle et qui pourrait être le Rassemblement Bleu Marine, créé en 2 012. Le RBM précise dans sa charte : « Tous les citoyens français sans distinction d’origine, de race ou de religion sont égaux devant la loi. »
Officiellement, cette « structure d’accueil pour tous les patriotes amoureux de la France […] n’est pas un parti politique et n’a pas vocation à le devenir ». Jean-Marie Le Pen, à qui on ne la fait pas, n’y a jamais cru et ne cesse de pilonner le RBM, « formation bizarre, sans consistance ». Il avait même affirmé en 2 012 que, le RBM, c’est « pour les tièdes, les chauds vont au FN ».
Cette perspective nécessite de régler deux aspects : l’un technique, l’autre politique. En vertu des 3 524 268 voix que les candidats FN ou RBM ont recueillies aux élections législatives de 2012, l’Etat verse à la formation mariniste 5 460 388,32 euros par an pendant toute la durée de la législature. C’est le Front national qui les perçoit. De même est-ce le FN qui encaisse les adhésions des militants, mais la tenue d’un congrès en fin d’année, comme cela est prévu, atténue la possible perte financière, la réduisant à 1/12e. Au renouvellement des adhésions un mois plus tard, le 1er janvier 2015, les marinistes cotiseraient au nouveau parti.
La légitimité par l’opinion
L’aspect politique est bien sûr la mise sur la touche de Jean-Marie Le Pen, qui pourrait s’accompagner de départs de militants historiques – il en reste encore… –, sans compter la capacité de nuisance du « Vieux ». Philippot, persuadé, comme Marine, que Jean-Marie Le Pen serait moins « nuisible » à l’extérieur qu’à l’intérieur du mouvement, a sa petite idée pour résoudre le problème : s’appuyer sur l’opinion.
Il n’attend que le feu vert de Marine pour commander un sondage qui pourrait être confié à l’Ifop, où son frère, Damien – que Marine Le Pen connaît bien – travaille comme directeur des études politiques. Deux questions ont été envisagées afin de procurer à la présidente du FN le socle de « légitimité » populaire dont elle a besoin pour procéder à son coup d’Etat interne : « Souhaitez-vous que le Front national change de nom ? » – autre option : « Souhaitez-vous que Marine Le Pen crée un nouveau parti politique ? » –, et : « Souhaitez-vous que Jean-Marie Le Pen quitte la vie politique ? »
Si les résultats sont passivement favorables à cette stratégie, ce dont Florian Philippot ne doute pas, celui-ci n’aurait plus, pour forcer la décision des adhérents frontistes les plus récalcitrants, qu’à les rendre publics, accompagnés d’une analyse établissant que Marine Le Pen aurait tout à gagner à cette double mutation.
Le support pour cette publication est même déjà prévu : l’ensemble, assassin pour Jean-Marie Le Pen, qui en ressortirait doté de l’image de « has been », voire de « boulet », pourrait paraître dans les colonnes de l’hebdomadaire « Valeurs actuelles », déjà partenaire de l’Ifop pour les sondages qu’il publie régulièrement et tellement en phase avec l’ascension du « courant national » que Jean-Marie Le Pen se plaignait récemment (1) que les idées portées par Marine Le Pen et lui-même ne disposent que de peu de relais médiatiques, « à part quelques amis comme “Présent“, quelques hebdomadaires même, comme “Valeurs actuelles“ ».
Sauf que Yves de Kerdrel, le directeur de « Valeurs actuelles », fait, lui, une différence entre les idées de Marine Le Pen et celles de Jean-Marie Le Pen. Dimanche soir, Kerdrel a twitté : « Honte à Jean-Marie Le Pen après ses propos insupportables sur Patrick Bruel. A force de faire des dérapages, Le Pen a fait une sortie de route. »
Avec habileté, Florian Philippot a réagi avec mesure à la « fournée » de JMLP, prenant même la défense du président d’honneur du FN. Cet animal à sang froid sait qu’il n’a rien à gagner dans un affrontement immédiat avec lui et que, sur le plan politique, il dispose de toutes les cartes. Il suffit au vice-président chargé de la stratégie d’attendre que Marine Le Pen soit mûre. Cela pourrait bien être le cas.
Antoine Vouillazère
1. in « Présent » du 24 mai 2014.