Le scandale de la « fournée » est totalement injustifié. Il ne s’est nourri que de l’ignorance et de la mauvaise foi. Et il n’est révélateur que d’une chose : la dégringolade du niveau intellectuel de la France. Les médias en tête.
Chaque semaine, Jean-Marie Le Pen est interviewé, face caméra, par Marie d’Herbais, pour son Journal de bord. Cela ne date pas d’hier : il en est à son 366e numéro ! Le président d’honneur du FN donne ainsi depuis fin 2006 son point de vue sur l’actualité. Julien Sanchez a cessé d’en être le co-intervieweur après avoir été élu maire de Beaucaire, dans le Gard, en mars dernier. La vidéo est diffusée, le vendredi après-midi, sur le site du FN et sur Youtube où dix à vingt mille personnes, selon les semaines, la regardent – dont les journalistes bien sûr, à l’affût d’un « dérapage ».
Vendredi 6 juin, la curiosité était grande. En ce jour anniversaire du 70e anniversaire du débarquement en Normandie, quelle saillie allait bien pouvoir sortir Jean-Marie Le Pen ? A quelle rectification historique allait-il bien pouvoir procéder ? A quelle « ignominie » allait-il se livrer ? Chou blanc… Ce n’est qu’à la fin de cette vidéo qu’un journaliste aussi inculte que « vigilant » a déniché le propos que tous les médias ont ensuite repris en boucle, sans jamais s’interroger sur ce que Le Pen avait vraiment dit – pas plus que les responsables du FN qui s’en sont émus…
Marie d’Herbais interroge Jean-Marie Le Pen sur l’attitude de tous ceux qui avaient menacé de quitter la France si le FN arrivait en tête à des élections et qui ne l’ont pas fait. « Ah oui, c’est Monsieur Noah ça », répond Le Pen, qui ajoute : « Cochon qui s’en dédit. » « Et Monsieur Bruel aussi », le relance Marie d’Herbais. « Ah oui, dit Le Pen, ça ne m’étonne pas. Ben écoutez, on fera une fournée la prochaine fois. » Le sens est évident : vendredi prochain, donnez-moi la liste de tous ces va-de-la-gueule et je vous livrerai un commentaire sur l’ensemble.
Courage, fuyons devant le lynchage médiatique !
Noah n’étant – à notre connaissance – ni musulman, ni juif, personne ne s’est indigné de l’expression porcine. Mais Patrick Bruel, né Maurice Benguigui, l’étant, Le Pen a été accusé de « dérapage antisémite » ! Et dès les premiers feux médiatiques, le Front national a supprimé la vidéo de son site ! Un site dont Marine Le Pen est responsable pénalement… Courage, fuyons devant le lynchage médiatique !
Le Pen est peut-être âgé, il n’est pas encore gâteux. Il a même une qualité qu’aucun de ses rivaux ne possède (ni son successeur) : il maîtrise à la perfection la langue française. Ce qui n’est pas le cas d’une grande majorité de journalistes, dont le vocabulaire se réduit comme peau de chagrin (1) à l’image de la culture historique qui a tendance, dans leur cerveau, à se limiter à deux catégories : l’histoire de l’humanité avant Hitler et Pétain, et l’histoire de l’humanité après Hitler et Pétain. Avant, c’était mal (à l’exception d’une brève période aux alentours de 1 789). Après, c’est mieux mais il faut rester vigilant.
Du coup, forcément, il y a des « bugs », comme ils disent, comme avec « fournée », mot créé au XIIe siècle (avant Hitler) de l’ancien français « forn » (voir ci-dessus Le Petit Robert, édition 2 008) ou comme avec « détail », qui n’est rien d’autre que la partie d’un tout (2).
Exemple concret : la bêtise de Najat Vallaud-Belkacem est un détail dans l’abîme de crétinerie de ce gouvernement dont il faudra bien finir par faire une fournée (vers Pôle Emploi), mais un détail significatif.
La pensée unique se nourrit du vide des esprits
Le ministre des Droits des femmes, de la Ville, de la Jeunesse et des Sports – ça fait peur – a réagi trois fois à la « fournée » de Le Pen. D’abord pour s’indigner et exiger qu’il soit viré du FN : « Le Pen président du déshonneur du FN : l’exclusion et la condamnation sont les seules réponses républicaines à de tels propos. » Puis pour exiger de nouveau : « S’il n’exclut pas un de ses membres tenant de tels propos, le FN restera toujours le parti de la nausée républicaine. » Enfin pour accabler Marine Le Pen qui avait pourtant cru s’en tirer sans trop de casse : « 6 millions de morts. Parler de “faute politique“ et non de faute morale est une sortie aussi insultante que celle de Le Pen père. Exclusion. » Heureusement que la gauche est contre les discours d’« exclusion »…
Si, en politique, les mots sont des armes, l’absence de vocabulaire est pire encore. Sans mots, pas de pensée. Ou alors de la « pensée » unique, pavlovienne, qui ne s’exprime que par les seuls mots connus (« républicain » ou « citoyen » sont de ceux-là, les plus courants et les plus vides de sens). On n’est même plus dans la « pensée dominante », il n’y a plus de pensée ; on est dans le vide intellectuel que viennent remplir banalité, moralisme et sentiment.
Les médias ne s’en rendent même plus compte qui demandent en boucle à chaque personne interviewée tantôt « quel est votre sentiment ? » – alors que c’est une « réflexion » qui nous intéresserait –, tantôt de « préciser [leur] pensée » pour se faire bien comprendre… des journalistes. La précision devient ici son exact contraire : plus on exige qu’elle soit précise, plus, en fait, la pensée doit être délayée, élargie pour être comprise et donc perdre son sens, sa finesse, sa… précision. On est systématiquement dans le binaire sentimentaliste ; il ne faut plus penser que du bien ou du mal. Elever le débat est devenu impossible, comme Alain Finkielkraut en fait l’expérience. Pratiquer le deuxième degré l’est tout autant, « Minute » l’éprouve régulièrement, de même que nous constatons à quel point il est difficile d’être lu, et compris dans un monde où celui qui a vu la couverture d’un journal estime qu’il a déjà tout compris et n’a pas besoin de le lire.
Dans la non-affaire Le Pen, celui-ci est déjà condamné. Il n’est pas présumé innocent, il est présumé coupable. Les invectives ne portent pas sur le sens qu’il convient de donner à ses mots – donc à l’expression de sa pensée –, mais sur son « antisémitisme présumé ».
Le Pen appartient à un monde ancien où les mots avaient un sens. Il n’est pas armé pour se battre face au néant.
Minute
1. Précision à l’intention des imbéciles : « peau de chagrin » n’est pas une allusion antisémite. Se reporter à un dictionnaire ou au Lagarde et Michard du XIXe siècle.
2. Oserons-nous écrire que le diable se niche dans les détails ? Hum…