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Le Pen, s’il te plaît, fais-moi peur !

On n’est jamais déçu avec Pierre-André Taguieff. A force de travail, à force d’honnêteté intellectuelle, il finit par saisir quelque chose de la vérité. Cette fois, il aborde la question du diable en politique. C’est de façon toujours aussi scientifique. Qu’il parle du racisme ou de cette maladie du progrès qu’est le « bougisme », Pierre André Taguieff est toujours irréfutable.

D’abord, qui est le diable en politique ? Vous ne savez pas ? Cherchez bien. Le diable en politique, jus­qu’à peu, c’était le Front national. Pierre-André Taguieff, dans ce volumineux ouvrage, s’intéresse aux raisons de l’antilepénisme comme il s’était passionné naguère pour ce qu’il appelait « les fins de l’antiracisme ». L’idée sous-jacente à une telle recherche était que l’on en apprend plus sur le racisme en étudiant l’antiracisme ; l’idée de la présente recherche est que l’on en découvre plus sur le lepénisme en étudiant les motivations des antilepénistes. Mais il y a une conviction encore plus profonde dans le travail de Taguieff : l’antilepénisme a été cultivé pour cacher l’absence de politique de la gau­che qui est ainsi passée, sans crier gare, du côté de la défense du libéralisme le plus éhontément financier.

La pensée unique empêche nos élites de penser
Pendant dix ans, pendant vingt ans, pendant trente ans, être de gauche, c’était être anti-Le Pen. Et l’on ne cherchait pas plus loin : c’était l’alpha et l’oméga de la politique. Le reste relevait de la gestion, des impératifs du marché, des contraintes de l’Union eu­ropéenne, etc. Résultat ? Un certain Bruno Latour l’écrit dans « Le Mon­de », dès octobre 1996 : « Le seul discours politique en France aujourd’hui est celui du Front national. »
L’affirmation semble énorme. Elle est pourtant facile à vérifier : depuis trente ans, la pensée unique empêche nos élites de penser. Elles se donnent une bonne conscience de gauche non pas en proposant des réponses de gauche aux problèmes de la mondialisation idéologique, politique, économique et financière mais en éructant leur haine contre Le Pen. Ce consensus moralisant qu’est l’antilepénisme a dispensé la gauche de réfléchir à la politique. Du coup, c’est Michéa qui a raison : la gauche n’est plus de gauche.
Jean Baudrillard avait dénoncé dès 1997 ce qu’il avait appelé, dans « Libération », la « conjuration des imbéciles », cette « convergence de la droite et de la gauche vers un centre ouvrant sur le vide politique », ou bien, dirais-je peut-être, sur un conformisme pratique dont le but logique est la disparition de la France comme motivation politique. Taguieff dénonce de son côté « l’interaction perverse de deux partis de la peur » qui détruisent la possibilité de réfléchir en politique. La politique devient un jeu « peur contre peur ».
L’exemple que notre sociologue – sans peur, lui – n’hésite pas à donner est celui de Christiane Taubira : « D’un côté des injures racistes inadmissibles fusent contre Christiane Taubira, comparée à un singe sur la page Facebook d’une élue du Front national ou traitée de guenon par des fillettes lors d’une manifestation réaffirmant le rejet du mariage pour tous. De l’autre, on n’entend guère au milieu des indignations convenues que les répliques outrancières de Christiane Taubira accusant le FN d’avoir pour toute pensée “les Noirs dans les branches des arbres, les Arabes à la mer, les homosexuels dans la Seine, les Juifs au four et ainsi de suite“. »
Ces comportements, n’hésite pas à écrire Taguieff, « illustrent la dégradation du combat politique en guerre civile verbale mue par la haine ou le ressentiment, utilisant les menaces et les injures en guise d’armes symboliques ».

Se donner encore quelque émotion dans la dénonciation du diable Le Pen
La question que pose solennellement Taguieff : « Est-il encore possible de sortir du tunnel des peurs mimétiques ? » Et si la peur de l’autre était le dernier excitant dans une société névrosée, sclérosée, incapable de penser à son avenir, qui trouve à se donner encore quelque émotion dans la dénonciation du diable Le Pen ?
Du Diable en politique est un livre fondamental pour faire de la politique aujourd’hui, un livre que tout le monde devra avoir lu.    
Joël Prieur

Pierre-André Taguieff, Du diable en politique, Réflexions sur l’antilepénisme ordinaire, CNRS éditions, 390 pp., 22 euros.

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