D8 avait beaucoup misé sur une infiltration en caméra cachée dans la campagne d’un candidat du FN. Au final, voilà que le présentateur (qui est aussi le producteur de l’émission et le directeur de l’information de la chaîne), Guy Lagache, se retrouve avec une plainte sans même avoir réussi le coup journalistique qu’il espérait.
Imaginez : vous réussissez à faire de votre journaliste sous couverture le directeur de campagne d’un candidat du Front national. Tous les espoirs sont dès lors permis. Révélations croustillantes, propos « nauséabonds » et puis l’audience surtout ! D’autant que – la chaîne D8 appartenant au groupe Canal + depuis octobre 2012 – une belle promotion a été assurée avec plusieurs interviews de Guy Lagache.
Hélas, trois fois hélas… Ce mercredi 28 mai, « En quête d’actualité » a certes réuni 921 000 téléspectateurs (4 % de part de marché), mais c’est par exemple presque 200 000 de moins que les aventures du détective Hercule Poirot sur TMC ! Le soir précédent, sur D8 toujours, une énième rediffusion de « Femmes de loi » (avec les charmantes Natacha Amal et Ingrid Chauvin) réalisait 5 % de parts de marché avec 1,373 million de téléspectateurs, soit 450 000 de plus que l’infiltration au FN ! Comme quoi en matière d’enquête, les Français préfèrent encore les séries policières…
Le minet se disait étudiant en histoire
Mais parlons donc de ce fameux « infiltré », car finalement l’interrogation essentielle est bien ici : comment un type avec cette tête (voir encadré ci-dessus) a-t-il pu se retrouver directeur de campagne d’un candidat du FN en quelques semaines ? « Sylvain Laurent », c’était son nom d’agent double, peut remercier la sacro-sainte dédiabolisation entreprise par Marine Le Pen. Parce que franchement, avec son petit carré plongeant, on l’imagine assez mal débarquant dans une fédé du FN il y a une vingtaine d’années ! Coincé entre un jeune « faf » en blouson de cuir et un ancien para, le camarade Sylvain Laurent serait apparu assez rapidement suspect…
Mais ça, c’était avant. Aujourd’hui, dans certaines sections du FNJ, le journaliste de D8 passerait presque pour le plus viril de la bande. Bref…
Il n’en reste pas moins que l’intégration de « Sylvain Laurent » semble avoir été tout ce qu’il y a de plus simple. Il est d’abord passé par Hénin-Beaumont, où on lui a expliqué que l’effectif était déjà suffisamment fourni mais qu’en revanche, s’il en avait l’envie, il y avait besoin de monde sur Lens. Et voici qu’à l’issue d’une petite réunion, il se retrouve en effet dans l’équipe du sympathique et novice Hugues Sion, tête de liste du Rassemblement Bleu Marine à Lens. Ce dernier ne se méfie pas puisque, après tout, c’est la maison mère qui lui recommande le nouveau venu (voir encadré ci-contre).
La couverture de « Sylvain Laurent » ? « Il se disait étudiant en histoire à Nantes, mais être venu rejoindre sa copine dans le Nord et disposant d’énormément de temps à mettre au service de la cause », se souvient un militant lensois. Et le voici donc très vite bombardé directeur de campagne d’un candidat très isolé. Aujourd’hui, une fois la supercherie rendue publique, un colistier d’Hugues Sion se rappelle que « “Sylvain“ était assez en retrait, il se débrouillait toujours pour ne pas apparaitre sur les photos ». Et pour cause…
A défaut de poser pour la postérité, il va en revanche patiemment filmer la campagne en caméra cachée, et en particulier toutes ses entrevues privées avec Hugues Sion ou d’autres membres et responsables du FN. C’est ce qui lui vaut aujourd’hui d’être la cible, ainsi que son patron Guy Lagache, d’une plainte pour la diffusion de ces conversations privées enregistrées sous « une fausse identité et une fausse fonction », pour reprendre les termes du communiqué de Steeve Briois.
Zut, l’identitaire est un vrai notable
Alors, qu’a-t-il donc pu glaner ? Rien. Regardant le reportage, on a surtout le sentiment d’un coup pour rien et on imagine facilement l’équipe de l’émission se creusant la tête pour essayer de trouver une histoire à coller sur ces quelques images, ces infimes déclarations, ces petites scénettes et ces révélations qui n’en sont pas.
On découvre le candidat du FN qui a du mal à boucler sa liste et en particulier à trouver des femmes, qui bricole un peu pour son programme, qui ne connaît pas forcément toutes les formalités administratives. Bravo « Sylvain », ça c’est de l’investigation ! Hugues Sion est juste un candidat normal… Il a juste l’air… plus sincère et honnête que la plupart de nos politiciens professionnels. En plein énième psychodrame à l’UMP, il est fort probable que ce côté novice ait été plutôt perçu comme un bon point par les téléspectateurs.
C’est sur un autre « scoop » que la production a fait mousser l’émission : la présence d’un ancien adhérent du Bloc identitaire sur la liste du FN à Lens. N’ayant manifestement vraiment rien à faire sortir, l’équipe de Guy Lagache a tenté de dramatiser cette information. Certes Marine Le Pen a toujours refusé un accord direct avec ce mouvement (lui reprochant notamment, non pas sa radicalité, mais son « régionalisme » et son « européisme »), mais elle n’a jamais fermé la porte à des identitaires faisant la démarche individuelle de rejoindre le FN ou ses listes.
D’autant que, si l’on en croit Hugues Sion, le colistier estampillé identitaire est une pièce maîtresse du dispositif : le candidat du FN n’hésite pas à parler de lui comme d’un notable local (il est dentiste), bien implanté et connaissant beaucoup de monde. Bref, pas vraiment la bête immonde… « Sylvain Laurent » nous gratifie d’ailleurs d’une scène cocasse où c’est l’affreux identitaire qui corrige les fautes d’orthographe sur le programme du candidat FN !
Dernier effet de manche, presque désespéré, quand le journaliste s’étonne que le nom de l’identitaire Philippe Vardon vienne à être cité, lors d’un dîner, par un membre important du FN en contact avec lui. « En quête d’actualité » nous gratifie alors de quelques prestations scéniques de Vardon et de son groupe de rock identitaire, plus proche il est vrai du heavy métal ou du punk rock que du zouk de la chanteuse frontiste Isabella… Elles datent de dix ou quinze ans. Et elles sont tout à fait notoires, comme le sont d’ailleurs ses relations avec des cadres du Front national.
« Sylvain Laurent » et Guy Lagache espéraient sans doute créer quelques remous au sein des rangs marinistes. Raté. Laurent Brice, secrétaire départemental FN du Pas-de-Calais, et Bruno Bilde, élu d’Hénin-Beaumont et conseiller spécial de Marine Le Pen (après en avoir été le directeur de cabinet) ont apporté leur soutien à Hugues Sion et Olivier Normand, le colistier « outé » comme identitaire, dans les colonnes de « La Voix du Nord ».
Et vendredi dernier, lors du conseil municipal de Lens, les militants et responsables frontistes ont fait bloc autour de celui qui est désormais le leader d’un groupe d’opposition, Hugues Sion, et d’Olivier Normand, qui siège lui aussi désormais au sein du groupe FN. Leur liste s’est qualifiée pour le deuxième tour et a rassemblé 24 % des suffrages. Le plus drôle est que, pour faire bonne figure pendant son infiltration, « Sylvain Laurent » y aura apporté sa contribution.
Lionel Humbert