L’article que nous publions ci-dessous est déjà paru dans nos colonnes, sous le même titre, dans notre n° 2595 du 26 décembre 2012. Il y a quinze mois. Toute la stratégie de François Hollande à l’égard de Nicolas Sarkozy y était décrite. Tout ce qui allait se dérouler y était annoncé. Au lendemain de Noël, ce ne fut pas notre numéro le plus lu. Revoici donc cet article.
François Hollande y pense tous les jours en faisant son nœud de cravate (de travers) : 2017, c’est demain. Il y pense même depuis qu’il a franchi le seuil de l’Elysée. Cinq ans, c’est court. Dix ans, c’est mieux. Et c’est jouable. A une condition : éliminer Nicolas Sarkozy de la vie politique française, frapper d’« impeachment », comme on dit aux Etats-Unis, celui qui est son seul rival sérieux pour la prochaine présidentielle.
Pour cela, l’arme politique est inopérante. Le chef de l’Etat sait qu’il a été élu sur un malentendu. Que les Français l’ont porté au pouvoir par un rejet de Nicolas Sarkozy – aggravé par les mots d’ordre tactiques de Marine Le Pen et de François Bayrou –, mais que ce rejet peut s’estomper. Pire, Sarkozy pourrait apparaître, à l’approche de 2017, comme un recours après l’hypo-présidence de Hollande et les folles exigences de son parti totalement déconnecté de la réalité économique du pays et des aspirations des Français.
Hollande veut un duel avec Marine Le Pen
« La France n’est pas majoritairement à gauche », confiait déjà Hollande au « Nouvel Obs » juste avant son élection. L’élection de Jean-François Copé à la présidence de l’UMP lui a donné raison… en même temps qu’elle validait les thèses de Patrick Buisson. Et c’est à raison que Guillaume Bernard, maître de conférences à l’Institut catholique d’études supérieures (Ices), théorise, après d’autres, un mouvement « dextrogyre » au sein de la vie politique française, qu’il explique ainsi : « Pendant deux siècles, jusqu’à la chute du mur de Berlin, la vie politique a connu un mouvement “sinistrogyre”, selon l’expression d’Albert Thibaudet, c’est-à-dire que les nouvelles forces apparaissaient par la gauche de l’échiquier politique. Désormais, le mouvement s’est inversé : l’offensive intellectuelle vient par la droite. »
D’ici à 2017, on ne voit pas ce qui pourrait inverser ce courant. Et François Hollande ne voit pas non plus qui d’autre que Nicolas Sarkozy pourrait incarner cette mutation, tant la droite manque de leaders ayant l’étoffe d’un chef d’Etat – sans parler de ceux qui, tels Fillon ou Baroin, n’ont pas pris la mesure du bouleversement en cours ou, l’ayant mesuré, veulent le contrecarrer. A cet égard, ce n’est pas pour rien que François Pinault, le plus emblématique des patrons chiraquiens, a voté pour Hollande et continue à s’en féliciter, ainsi que nombre de fidèles de l’ancien chef de l’Etat corrézien…
Si Sarkozy est candidat en 2017, estime donc Hollande, sa réélection est mal engagée. Tandis que s’il ne l’est pas, la conjonction, cette fois, d’une multiplication de candidatures à droite et de l’absence de leader « naturel » de l’électorat conservateur va assurer la qualification pour le second tour de Marine Le Pen. Soit un duel Hollande/Le Pen qui ne ressemblera certes pas au duel Chirac/Le Pen de 2002 mais qui lui assurera, pense-t-il, sa réélection et plongera durablement l’opposition dans une crise sans précédent. Le plus simple est donc d’empêcher Nicolas Sarkozy d’être candidat à la présidentielle…
Pour cela, Hollande et les conseillers qui l’entourent, dont ceux issus de la cellule de veille mise en place durant la campagne présidentielle de 2012, ont un objectif : obtenir par tous les moyens que la justice prononce une peine d’inéligibilité à l’égard de Sarkozy. Avec l’aimable coopération du garde des Sceaux, Christiane Taubira, qui a la haute main sur le parquet, en première instance comme en appel et en cassation.
Objectif : rendre Sarko inéligible
Pour le moment, l’affaire Bettencourt n’a pas donné les résultats espérés. A l’issue de son audition le 22 novembre dernier à Bordeaux, Sarkozy n’a pas été mis en examen. Le juge Gentil n’a pas trouvé d’« indices graves et concordants » permettant d’y procéder. Il n’est pas question de renvoyer Nicolas Sarkozy en correctionnelle. Rien n’établit pour l’heure qu’il ait reçu des valises de billets d’André Bettencourt et, a fortiori, qu’il ait financé ainsi sa campagne électorale. Sarko : 1, Hollande : 0.
Deuxième front, celui des sondages de l’Elysée. Là, Hollande a marqué un point avec l’ouverture d’une enquête préliminaire suite à la plainte déposée par l’association Anticor et, depuis le 19 décembre, la décision de la Cour de cassation qui permet au juge d’instruction Serge Tournaire d’enquêter sur les marchés conclus par l’Elysée avec la société de Patrick Buisson – ce que le juge souhaitait depuis mars 2011…
Vu l’importance de Buisson dans le dispositif sarkozyste de reconquête du pouvoir, tenter de l’asphyxier financièrement tout en le discréditant – et, par là même, affaiblir celui qui lui a fait confiance depuis 2005 et lui doit son élection en 2007 – est un évident coup de billard anti-Sarko. Sarko : 1, Hollande : 1.
Troisième front et certainement pas le dernier : les comptes de campagne du candidat Sarkozy. La CNCCFP (Commission nationale des comptes de campagne et du financement politique) vient de les rejeter. Seuls ceux de Jacques Cheminade, en 1995, et de Bruno Mégret, en 2002, avaient subi pareil sort sur décision du Conseil constitutionnel. Instance suprême devant laquelle Nicolas Sarkozy va justement déposer un recours. Pour la CNCCFP, le candidat Nicolas Sarkozy a dépassé le plafond de dépenses autorisées, calcul établi après réintégration dans son compte de dépenses effectuées avant qu’il ait déclaré sa candidature, le 15 février 2012. A ce compte-là, François Mitterrand, qui ne s’était déclaré candidat à sa succession que le 22 mars 1988, soit un mois avant le premier tour de la présidentielle, aurait dû voir son compte de campagne rejeté… et sa réélection invalidée ! C’est aussi ce qui aurait dû arriver à Jacques Chirac, dont le compte de campagne, qui comportait des « irrégularités », a été sciemment retouché par le Conseil constitutionnel en 1995 afin que son élection puisse être prononcée ! Roland Dumas, à l’époque président du Conseil constitutionnel, en a fait l’aveu…
Il n’empêche que le score bascule : Sarko : 1 ; Hollande : 2. Avec l’espoir, à l’Elysée, que l’UMP, déjà financièrement exsangue, soit lestée de 11 millions d’euros supplémentaires de dettes. Et qu’une procédure finisse par entraîner l’inéligibilité de Nicolas Sarkozy et donc la victoire de Hollande par KO. Il n’y a pas urgence. Une inéligibilité d’un an prononcée en 2 016 suffirait tout à fait à son bonheur. Le feuilleton ne fait que commencer.
Antoine Vouillazère