50,3 %. 19 000 voix d’avance. L’UDC a remporté son incroyable pari : mettre fin à l’immigration de masse. A la grande fureur de tout ce que l’Europe compte de bonnes consciences démocratiques. Et d’autres votations, encore « pire », sont annoncées !
Début janvier, « Minute » écrivait : « Pour l’instant, les sondages donnent le non gagnant avec 53 % des voix contre 36 % au oui, 11 % étant indécis. Mais selon l’UDC, ces études d’opinions ne sont pas significatives car c’est la campagne qui fera basculer les électeurs. » (1) Pourtant, il y a encore quelques jours, les sondages étaient clairs et leurs commentateurs péremptoires. L’initiative de l’UDC allait échouer. Tout le monde était contre : le grand patronat, une partie de la droite, la gauche social-démocrate, les médias. Jusqu’au Conseil fédéral qui, rompant avec la coutume, avait payé d’immenses encarts publicitaires pour expliquer aux Suisses l’abîme dans lequel plongerait leur pays si d’aventure le oui gagnait.
Et pourtant, comme lors du référendum sur les minarets, au mépris des pronostics, le oui l’a emporté dans une votation qui a attiré plus de 56 % des électeurs contre une moyenne habituelle de 44 %. Un véritable record dans un pays où les citoyens sont souvent appelés à voter et une victoire sur le fil grâce à la convergence de forces en apparence hostiles.
Quoi de commun, en effet, entre la conservatrice UDC, l’Union démocratique du centre, et les Verts tessinois sinon un même refus des conséquences du libéralisme en matière de droit du travail ? Victoire également du fait d’une mobilisation exceptionnelle, à 70 %, pour le oui dans ce même canton du Tessin, un canton italianophone mais qui refuse de devenir la banlieue de Milan et dont le taux de chômage, même s’il est faible à l’échelle française (7 %), est le double de la moyenne nationale.
Le peuple suisse est vraiment souverain
Contrairement aux apparences, la ligne de fracture entre le oui et le non ne passe pas par l’appartenance linguistique. Si le non l’emporte dans le canton de Genève, ce n’est pas seulement parce que les francophones seraient plus à gauche. C’est aussi qu’il s’agit d’un canton urbanisé. Les quartiers populaires ou péri-urbains du canton ont donné, eux, le oui gagnant. Pas besoin d’avoir fait maths sup pour comprendre le théorème : plus le pourcentage d’immigrés est élevé, plus on vote pour le oui. Incroyable, non ?
Que va-t-il se passer maintenant ? Le texte de la votation va être pris en compte par le conseil fédéral qui va le « traduire » par une loi d’application. Et c’est là l’honneur de la démocratie suisse. Alors que son gouvernement avait usé de tout son poids pour obtenir le non, le président de la Confédération a affirmé, dès le résultat acquis, qu’en Suisse le peuple décide de ce qu’il veut.
La mise en application de la votation sera, au sens premier du mot, une authentique révolution, c’est-à-dire d’un retour en arrière. Un retour à 2001 lorsque l’entrée du marché du travail était contingentée par l’Etat suisse en fonction de ses besoins. Les quotas avaient été abandonnés en 2002 après une négociation avec l’Union européenne. Les partisans de cet accord annonçaient un impact mineur, de l’ordre de 8 000 travailleurs supplémentaires par an. La réalité a été très vite de 80 000 ! Pour le plus grand bénéfice d’une partie du patronat pouvant puiser à son gré dans un vivier de travailleurs prêts à accepter un salaire inférieur à celui versé à un Suisse.
Les écolos de droite préparent une autre votation
L’UDC s’est fixée dans un premier temps de diviser par deux ce chiffre de 80 000. Mais, au delà de la simple arithmétique, ce sont deux principes forts et complémentaires auxquels reviennent les Suisses : la frontière et la souveraineté. La politique d’immigration sera décidée en Suisse et par les Suisses. Aucun traité international qui contrevienne à ce principe ne pourra être signé. Le cœur même du oui est bien la question de l‘immigration et non de l’Europe comme certains eurosceptiques français ont eu, dès dimanche soir, tendance à le conclure.
Car la votation ne se limitait pas qu’au problème des travailleurs européens transfrontaliers.
Elle comportait un volet droit d’asile qui sera inclus dans les quotas. Le droit au séjour durable, aux prestations sociales, au regroupement familial sera lui aussi soumis à des restrictions. La préférence nationale sera un critère prépondérant dans la mise en œuvre de cette politique.
La votation de ce dimanche pourrait n’être qu’une première étape. A l’initiative d’un mouvement écologiste classé à droite, Ecologie et Population, un autre référendum sera bientôt organisé. Au menu, rien moins que fixer une hausse maximale annuelle de 0,2 % du nombre d’habitants de la Suisse. Sachant que la population de souche est stable, il s’agit tout simplement de quasiment stopper le nombre d’entrée d’étrangers. Objectif : moins de voitures et donc moins de pollution ; moins d’équipements, de logements et donc moins d‘empreinte sur la terre suisse… Une vraie décroissance environnementale. A faire vomir Cécile Duflot…
Mais la votation à venir comportera un autre volet. Plus original et, peut-être, capital. Inscrire dans la loi suisse que 10 % des aides au tiers monde soient désormais consacrés à des campagnes de planification familiale. En d’autres termes, que les peuples du sud fassent moins d’enfants ! Tarir à la source l’immigration, en voilà une intéressante idée écolo !
Alors, heureuse Suisse ? Oui, heureuse car chez nos voisins la démocratie n’a pas été séparée du peuple. Parce qu’elle possède en l’UDC un grand parti de droite, certes traversé de courants divers mais n’hésitant pas à se battre réellement pour des lois identitaires.
Mais un bonheur isolé n’est jamais un bonheur complet. La Suisse a montré ce dimanche la voie à l’Europe. Sera-t-elle suivie ? Le 25 mai prochain, date des élections européennes, nous serons fixés.
Yves Theurin
1. « Minute » n° 2649 du 8 janvier 2014.