Alain de Benoist apparaît comme « l’intellectuel de droite par excellence », même s’il refuse pour son compte toutes les formes de dextrophilie. Mais c’est cela aussi être de droite : ne se reconnaître dans aucune forme d’idéologie, même et surtout « droitière ».
Ce refus viscéral de toute forme d’idéologie est d’ailleurs le nerf caché de son dernier livre : Les Démons du Bien.
Le titre est volontairement choquant mais « les démons du Bien » renvoient à la tentation idéologique devenue d’autant plus prégnante qu’officiellement les idéologies ont disparu depuis la chute du Mur de Berlin en 1989. En réalité, à travers le fantasme omniprésent de « l’empire du Bien » et à travers la nouvelle morale qu’il induit, les idées ont plus que jamais rapport avec le pouvoir parce qu’elles tendent à devenir toutes plus normatives les unes que les autres. Les idées qui ne seraient plus normatives seraient interdites…
L’un des domaines dans lequel on peut constater le plus facilement cette identification entre les idées et les normes est celui de la sexualité dans son sens le plus large. C’est là que les démons et démones du bien sont les plus insistant-es et les plus insinuant-es (accentuant leurs prises jusque sur l’orthographe et les différentes graphies possibles dont elles excluent délibérément certaines comme sexistes). Dans ce registre, les penseurs-seuses sont donc tous et toutes prescripteurs-euses. L’étude désintéressée du sujet semble devenue impossible. Et inversement, si l’on veut faire abstraction de cette prétention réformatrice (et idéologique) des « études de genre » (gender studies : ainsi appelle-t-on aujourd’hui les études consacrées à la différence et à l’indifférence hommes/femmes), on risque de n’y rien comprendre.
Judith Butler, grande prêtresse absconse des gender studies revendique fièrement le caractère « performatif » de sa pensée. Performatif ? Elle estime que sa pensée est une action qui est appelée à modifier mondialement le rapport entre les sexes. Elle ne cherche pas à dire ce qu’il en est du rapport entre masculin et féminin, mais à prêcher ce qui doit être dans l’avenir selon elle, et donc à « défaire » ce qui est.
Ce que j’admire le plus dans ce livre, c’est l’objectivité tranquille d’Alain de Benoist, qui enregistre placidement les tocades de ces dames en proposant un passionnant historique de la pensée féministe américaine. Tout juste de temps en temps, un mouvement d’impatience se devine-t-il chez lui. Mais dans l’ensemble, on peut dire qu’il s’amuse et surtout qu’il nous instruit, en s’attardant particulièrement sur les tensions qui traversent ce mouvement (entre les « différentialistes » qui revendiquent un monde tout féminin et les universalistes qui veulent créer une humanité qui soit finalement sans sexe, tendant à un nouveau puritanisme).
Ce qui apparaît particulièrement inquiétant, c’est la manière dont les institutions internationales semblent prendre au sérieux ces pensées qui apparaissent si loin du réel. Alain de Benoist nous fournit des exemples. La quatrième conférence mondiale sur la femme, organisée en 1995 à Pékin par l’ONU, comporte une « Plate-forme d’action sur la femme » (sic). Résolution importante de cette élite technocratique internationale : « La maternité est source de discrimination et limite la pleine participation des femmes dans la société » (§ 29).
On voit au fond où veulent aller nos élites : vers un monde sans mère. Sans doute la maternité est-elle pour les partisans du gender un de ces stéréotypes qu’il faut supprimer et qui entretient lamentablement la différence sexuelle. En 2011, le sommet d’Istanbul organisé par l’Union européenne engage les Etats à entreprendre « les actions nécessaires pour inclure dans les programmes officiels à tous les niveaux d’enseignement un matériel sur des sujets tels que l’égalité des hommes et des femmes et les rôles non stéréotypés de genres ». Avis à la population ! La chasse aux stéréotypes est officiellement ouverte en Europe.
Le 12 décembre 2012, l’Assemblée européenne à Strasbourg a défini les grands principes sur lesquels repose l’Union européenne : « une communauté de valeurs indivisibles et universelles de respect de la dignité humaine, de liberté, d’égalité, de démocratie, de genre ».
À lire ce livre fondamental, on comprend que l’idéologie du genre n’est pas seulement française, elle est internationale ; pour nous, elle est donc européenne d’abord. Les dénégations de nos pantins de ministres prétendant ne pas connaître le genre se heurtent aux textes qu’au fond ils ont reçu mandat d’appliquer de la part du gouvernorat de Bruxelles. Il ne faudra jamais oublier que nos « patrons » de l’autoproclamée élite ne sont que des larbins…
Joël Prieur
Alain de Benoist, Les Démons du Bien
éd. Pierre-Guillaume de Roux, 284 pp., 23 euros.