Ce n’est pas à un vieux singe qu’on apprend à faire la grimace, enseigne l’adage. Depuis quarante ans qu’elle fait de la politique, Christiane Taubira en connaît toutes les ficelles. Comme celle de la victimisation qui vient de lui permettre de reprendre la main alors qu’elle était bien mal en point.
Depuis la passe d’armes avec Manuel Valls sur son projet de loi de réforme pénale, le ministre de la Justice avait pris un coup au moral. Elle n’avait plus la pêche. Surtout que tous les sondages montraient que le ministre de l’Intérieur avait les faveurs de l’opinion. Et s’il a été adopté en octobre au conseil des ministres, il ne sera débattu à l’Assemblée nationale qu’à partir du 9 avril 2014 – après les élections municipales… –, ce qui laissait de longs mois sans que Christiane Taubira soit sur le devant de la scène.
Or, coup de pot, deux non-évènements viennent de la remettre au régime médiatique qui est un peu plus valorisant que le régime de bananes : la comparaison du garde des Sceaux avec un singe par une candidate (désormais ex-candidate) du Front national, et l’humour de cour de récréation d’une gamine qui a brandi une banane à son passage, la traitant de « guenon », la femelle du chimpanzé, remarque qui, en plus d’être raciste, ne respectait même pas la théorie du genre.
Sa revanche sur Manuel Valls
Du coup, voilà Taubira érigée en icône outragée des valeurs républicaines françaises, ce qui ne manque pas de sel quand on se souvient qu’elle fut une indépendantiste guyanaise et qu’elle se fichait alors pas mal de « l’intégrité du territoire » (article 5 de la Constitution) et de la « fraternité » avec le peuple français, puisqu’elle voulait s’en séparer. L’ambition portant conseil, elle a dû considérer que, finalement, il valait mieux occuper un ministère régalien au sein de la République française que de se faire serrer pour atteinte à l’intégrité du territoire… ou, en cas de victoire, régner sur un territoire quasiment exclusivement occupé par la forêt équatoriale et ne livrant qu’une production maigrichonne de bananes.
Imaginez donc ! Les députés de gauche et du centre (lequel serait-il paraît-il en train de se rapprocher de la droite) se sont levés pour l’applaudir dans l’hémicycle, ovationnant, dans un curieux élan compassionnel, celle qui n’avait d’autre mérite que d’avoir été insultée. Si telle est la règle, Jean-Marie Le Pen devrait avoir droit à une standing ovation permanente… L’émotion ne fut bien sûr pas moins grande – elle fut inexistante – lorsque Nicolas Sarkozy, dans un montage photographique très proche de celui dont le garde des Sceaux a fait l’objet, a été comparé à un singe, ou quand Jean-Marie Le Pen fut, lui, carrément dessiné en orang-outang (voir ci-dessus). Il est vrai que Sarkozy comme Le Pen sont blancs et de droite, et qu’à ce double titre, ils ont droit à moins d’égards.
Etre noir, c’est être, par définition, victime, tandis qu’être blanc, c’est être oppresseur, sauf à regretter de ne pas être noir et à le clamer, tel Claude Nougaro, qui avait chanté ce qui résume bien la mentalité de la gauche française : « Armstrong, je ne suis pas noir. Je suis blanc de peau. Quand on veut chanter l’espoir, quel manque de pot. »
Et puis Taubira a fait coup double. Valls ne risquait pas de la ramener, ayant bien trop peur qu’on lui ressorte la vidéo de sa venue à une brocante d’Evry, dont il était maire, en 2009, brocante aux allures de souk, réclamant à son conseiller : « Belle image de la ville d’Evry ! Tu me mets quelques Blancs, quelques White, quelques Blancos »
Une pauvre petite fille riche et célèbre
Christiane Taubira a donc saisi l’aubaine et s’est rendue intouchable pour un bon moment – ce qui est toujours rassurant en période de rumeurs sur un remaniement ministériel – selon le principe qui veut que lorsqu’un ministre issu d’une « minorité visible » est viré, c’est en raison de sa couleur de peau – sur le thème : « C’est bon, on a montré qu’on n’était pas racistes, on peut le virer » –, alors que quand un ministre blanc prend la porte, c’est parce qu’il était décidément trop nul. La carrière ministérielle de Rama Yade n’a donc pas suffi pour prouver qu’on peut être à la fois, et noir, et nul !
Notre Guyanaise de la place Vendôme a quand même raison de se plaindre du sort que la France lui a réservé : elle n’a que 400 000 euros de patrimoine déclaré… Et à 61 ans, elle n’est même pas premier ministre !
Un parcours un peu à la Harry Roselmack qui, à 40 ans, après avoir présenté le journal de 20 heures de TF1 – le plus regardé d’Europe – et avoir eu son émission à RTL – la radio la plus écoutée – reste cantonné à la présentation du magazine dominical Sept à Huit et ne voit toujours aucun signe qui lui permettrait d’occuper le fauteuil de p-dg de TF1.
Dimanche 10 novembre, sur Canal+ un sketch des Guignols montrait « un ivrogne promenant un âne dans Paris ». L’ivrogne, c’était Jean-Louis Borloo. Et l’âne, c’était François Bayrou. Et là, personne n’a protesté. Pas même les intéressés. Borloo, parce qu’il a l’habitude. Bayrou, parce qu’il a eu peur de se ridiculiser et que l’insulte ne devienne un gag récurrent pour faire rire dans les chaumières et discréditer un homme qui, quoi qu’on pense de ses prises de position politique, a obtenu l’agrégation de lettres classiques à 23 ans, ce qui n’est pas à la portée d’un mangeur de foin.
Par les « belles et hautes voix » qui se sont levées pour Taubira, il y a eu celle de Jane Birkin, qui a eu ces mots : « Ça m’aide que mon petit-fils soit à moitié noir, je le vois. On est plus vigilant, sinon j’aurais été bêtement anglaise. »
C’est là que la stratégie de Christiane Taubira et de tous ceux qui se refont une santé politique sur le racisme supposé des Français est odieuse. Elle porte sur les « belles et hautes voix ». Vous verrez qu’un jour, Jane Birkin et autres White et Blancos culpabilisés s’excuseront d’être blancs. Taubira, elle, aura plus que jamais la banane.
Marc Bertric