Le Front national a fait élire un conseiller général. Branlebas de combat ! Ce n’est pourtant pas le premier et l’exploit remonte même à 1985, il y a vingt-huit ans ! Le principal enseignement du scrutin n’est pas là. Il est dans la capacité du FN à trouver des voix chez les abstentionnistes du premier tour. Ça, c’est un fait majeur.
Il n’y a certes pas qu’un âne qui s’appelle Martin mais celui-ci, prénommé Pierre, est un baudet de compétition. Ce « politologue au CNRS », nous révélait « Libé » il y a quelques semaines, est le « guide électoral du premier ministre ». Rien que ça. Depuis plus de trente ans qu’il sévit, il n’est pas un hiérarque du PS qui n’ait pas, un jour, fait appel à ses services, de Fabius à Hollande, de Ségolène Royal à Jean Poperen.
En juin, après la législative partielle du Lot-et-Garonne, Jean-Marc Ayrault l’a appelé. Qu’en penser ? Tout va bien, l’a rassuré le politologue : « Le front républicain continue de fonctionner quoi qu’on en dise, preuve en est que le FN continue d’échouer en duel. » Moyennant quoi le premier ministre, plus costaud en allemand qu’en sociologie politique, a redit à ses troupes, le soir même, qu’il était hors de question d’abandonner la stratégie du « front républicain », quoi qu’il en coutât d’appeler à voter pour les candidats de l’UMP. On ne sait pas ce que Jean-Marc Ayrault a dit à ce Pierre Martin dimanche soir mais on aurait donné cher pour être une petite souris…
Les Brignolais motivés pour élire le gars du FN
Le fait majeur de la cantonale partielle de Brignoles est que la très forte hausse de la participation, entre les deux tours, a profité… au Front national. Le fait majeur est là, alors que l’élection d’un conseiller général du FN, elle, n’en est pas un. Lors du premier tour, seuls 33,40 % des électeurs du canton s’étaient déplacés ; au deuxième tour, ils ont été 47,47 %, soit quatorze points de plus.
Habituellement, une plus forte participation, d’un tour à l’autre, était le signe que les électeurs, en un « sursaut », et éventuellement en se pinçant le nez, venaient « faire barrage » au candidat du FN. Pas cette fois. La mobilisation a été la marque de la volonté d’un nombre croissant d’électeurs de faire élire le candidat du FN.
Entre les deux tours, le candidat frontiste a progressé de plus de 2 300 voix, passant de 2 718 à 5 031 suffrages ! Même en déduisant les 612 électeurs qui s’étaient portés sur l’ancien candidat FN Jean-Paul Dispard, investi cette fois par le Parti de la France, il reste 1 700 électeurs qui sont allés voter pour Laurent Lopez le 13 octobre alors qu’ils étaient restés chez eux le 6 octobre.
Quant à l’écart avec la candidate de l’UMP, il est solide : 700 voix de différence, soit 54 % à 46 %, alors que, aux deux dernières cantonales, en 2 011 et en 2012, ce sont justement les faibles écarts (5 voix et 13 voix) qui avaient entrainé les annulations successives. Verdict : les Brignolais, en l’active minorité qui s’est mobilisée, voulaient élire le candidat du FN.
Le « front républicain », lui, n’est pas mort à Brignoles mais durant la présidence de Nicolas Sarkozy lorsque les sondages ont indiqué que cette stratégie n’était plus tenable pour l’UMP en raison de la porosité croissante de son électorat aux idées lepénistes. Celui qui était alors président de la République en avait pris acte en y mettant officiellement fin à l’occasion, justement, des élections cantonales de 2 011. Il n’y a plus que le PS pour faire mine d’y croire, manière de refuser de voir pour qui ses électeurs habituels vont désormais voter…
Rappelons quand même que le canton de Brignoles était, depuis 1988, un canton communiste !
Ces conseillers généraux que l’on a oubliés
La surmédiatisation de cette élection partielle a fait croire que, pour la première fois, un candidat du FN parvenait à être élu lors d’un scrutin uninominal à deux tours, que celui-ci avait brisé un système électoral qui ne permettait jusqu’alors qu’aux candidats présentés ou soutenus par l’UMP et le PS de se faire élire. Même Marion Maréchal-Le Pen est tombée dans le panneau. Il faut dire qu’elle n’était même pas née quand le premier conseiller général du FN a été élu !
Quand Marion est née, en 1989, cela faisait en effet déjà quatre ans que Jean Roussel, en un dimanche électoral qui provoqua moins d’émoi qu’aujourd’hui, avait été élu, en mars 1985, conseiller général FN dans les Bouches-du-Rhône. Il sera même réélu en 1991.
Dans l’intervalle, le FN avait fait élire deux autres conseillers généraux : Fernand Le Rachinel dans le canton de Canisy, dans la Manche, et Philippe Adam dans celui de Salon-de-Provence – sans parler de ceux qui, élus sous une autre étiquette, allaient rejoindre le parti en cours de mandat, comme Jean Durieux ou Bruno Chauvière, dans le Nord (à ce propos, viré en 1999 lors de la crise mégrétiste, Philippe Adam a été discrètement réintégré et il est candidat aux élections municipales ; il conduit la liste du Rassemblement Bleu Marine à Salon-de-Provence).
En 1992, c’est sous les couleurs du FN que Jacques Peyrat, futur maire de Nice, sera élu dans un canton de la ville, de même que Jacques Bompard en 2002 à Orange, sans oublier Gérard Freulet à Mulhouse en 1997 (1). Et sans oublier Patrick Bassot, actuel conseiller général, élu en 2 011 dans le Vaucluse, à Carpentras.
Mais comme les Français ont la mémoire courte, et que les médias jouent à se faire peur, l’exposition médiatique donnée à la cantonale varoise fait penser qu’un verrou vient de sauter. Que ce qui était impensable hier est devenu possible. Que le FN est en marche vers le pouvoir. Après tout, laissons dire. Pour une fois que le jeu des médias sert le Front national…
1. Voir l’excellent site de Laurent de Boissieu, journaliste à « La Croix » : www.france-politique.fr