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Où Moi Président, j’ai reçu une lettre

Moi président, j’ai reçu une lettre d’une de mes ex, acariâtre et re­vancharde, avec laquelle j’ai eu quelques rapports tendus par le pas­sé et que Poupoule ne peut pas encadrer. Elle m’écrit du Poitou : « Salut pingouin ! J’ai entendu par inadvertance ta lamentable prestation télévisée dimanche dernier. A tout hasard, je soumets à ta gouverne le sujet de philo du bac 2013, niveau terminale : “Peut-on agir moralement sans s’intéresser à la politique ?“ Je te laisse méditer là-dessus, quoique à en juger par les sondages tu aies dépassé le niveau terminal… Marie Ségolène. »
Qu’est-ce qu’elle croit, la Ségo ? Que moi président, énarque et tout, je ne suis pas capable de philosopher com­me n’importe quel ado ? D’abord la question est mal posée. Le vrai problème, aujourd’hui, c’est tout l’inverse : « Peut-on s’intéresser à la politique sans agir immoralement ? » Allez, je vous la fais en trois parties : thèse, antithèse, syn­thèse, comme au bon vieux temps.

Où les ministres n’ont plus le moral

Thèse : de temps en temps – rarement… –, il arrive que des immoraux s’intéressent à la politique. Parfois même, par extraordinaire, des crétins comme Cahuzac se font gauler la main dans le sac – je devrais dire dans le sac à main, puisqu’il paraît que c’est sa femme qui l’a balancé (après ça, étonnez-vous que je préfère concubiner…). Il se peut même, puis­que au­jourd’hui même les banquiers parlent trop, que l’on finisse par ap­prendre qu’une quinzaine de minis­tres, usagés ou en fonction, se sont ren­dus en Suisse, plutôt pour y déposer du liquide que pour y prendre les eaux.
Au joli temps jadis, quand un banquier avait la langue trop bien pendue, on pendait le banquier avec sa langue, qui devenait toute bleue et bougeait beaucoup moins. Mais ce pe­tit salopard de Condamin-Gerbier a fait savoir que même s’il lui arrivait malheur, il avait remis à un quidam de quoi faire péter la République. Déjà qu’elle est mal en point, la vieillasse…
Quand même, quelle époque ! Tout fout le camp, même la Suisse : hier encore c’était le pays des coucous, aujourd’hui c’est le royaume des cocus. Naguère les bouches des banquiers suisses étaient aussi helvétiquement closes que leurs coffres, maintenant ils vident leur sac comme on remplit un compte. Et c’est qu’il en rajoute, le Con­damin-Gerbier : monsieur le banquier s’amuse, monsieur le banquier rigole dans le coffre anonyme, monsieur le banquier joue aux devinettes avec les journalistes : « Je peux simplement dire aujourd’hui qu’il y a dans cette liste de très grands noms de la politique française, des gens que l’on est habitué à voir sur les écrans de télévision. Il s’agit de personnages beaucoup plus familiers du grand public que ne l’était Jérôme Cahuzac. »
Et pourquoi pas aux charades, aus­si ? Allez, zou, au hasard : mon pre­mier est un vocable commun, mon deuxième compose les trois premières lettres d’un écossais fermenté, mon troisième est ce que fit César après avoir veni et vidi, mon tout est un mi­nistre économe et pourtant sans patrimoine ou presque. C’est ce que je me disais d’ailleurs au dernier conseil des ministres, pendant qu’un raseur parlait de réforme des retraites ou d’au­tres balivernes et calembredaines. Je le regardais et je me disais, quand mê­me, tant d’années au PS et si peu de fric à gauche, c’est pas un peu bizar­re ? Je ne veux accuser personne, hein ; mais quand même…
Comme vous l’avez sans doute déjà remarqué, la Suisse, sur la carte, c’est plutôt à droite, mais vu de Paris, c’est franchement à gauche… Notez qu’à en croire Condamin-Gerbier, à l’UMP aussi ils seraient un certain nom­bre à avoir le cœur en Suisse. En France, on a la droite la plus ambidextre du monde… N’empêche que tout ça fiche une sale ambiance au conseil des ministres : Fabius, Moscovenividi, Taubira, Vallaud-Bellecassette, Valls, Montebourg, Sapin, Filippetti : ils sont tous là à s’entre-regarder en essayant de se rappeler combien de fois les autres sont passés à la télé : « Lui, il a une tête à être familier du grand public… » Même moi président, il y en a qui me regardent d’un drôle d’air.
Il n’y a guère que Thierry Repentin qui a l’air tout guilleret : en un an de ministère, à ma connaissance, pas une télé, ni une radio : même France Bleu Cévennes n’en voudrait pas. Mê­me sa concierge ignore qu’il est mi­nistre : s’il mettait un sweet-shirt de la Manif pour tous, il finirait au poste recta et à son ministère, personne ne s’étonnerait de son absence. Un type comme ça, même s’il avait un compte en Suisse, ce serait le compte invisible de l’homme invisible. Vernis, quoi…

Où Bachelot est garante de l’immoralité de la droite

Antithèse : mais les vrais malfaisants en politique ne sont moralement pas socialistes. Voyez Guéant, par exemple : avec sa tête de poisson chinois, on lui aurait donné l’absolution sans Confucius. Moyennant quoi, il croit avoir trouvé la poule aux œufs d’or en devenant patron des poulets et s’adjuge des primes en li­qui­de en piochant généreusement dans les frais d’enquête et de surveil­lance de la police nationale.
Moralement, les primes en liquide sont de proches parentes du pot-de-vin. Son patron, Sarkozy, ne passant pas pour un disciple de Bacchus, il était de bonne politique pour Guéant, à défaut de bonne morale, de choisir la première formule. Heureusement pour la dignité de la classe politique, l’ancien ministre de l’Intérieur a été dénoncé par une femme d’une haute moralité : Roselyne Bachelot, ancien mi­nistre de Sarko reconvertie selon sa propre définition en « journaliste observatrice », donc violemment antisarkozyste – on ne soulignera jamais assez les avantages de cette porosité bien française entre les classes médiatiques et politiques. Dé­but mai, sur le plateau de Bourdin, la Vachelot, accusant Guéant d’être « soit un menteur, soit un voleur », s’était entendue demander par son récent confrère si elle ne crachait pas un peu dans la soupe. Pas du tout, avait-elle répondu en précisant quelques instants après qu’elle avait « été dans le fond de la soupe depuis très longtemps », assez en tout cas pour en connaître les recettes. Elle ne crache donc pas dedans, elle l’a seulement bien digérée.
Ce n’est pas au PS qu’on verrait des choses pareilles, pour sûr. Valls est bien trop occupé à combattre l’extrême droite homophobe pour soutirer un fifrelin des comptes de ses servi­ces. D’ailleurs, il préfère largement les éléments volatils  : fume, c’est du gaz !

Où la morale, c’est la gauche

Synthèse. Pour nous résumer, on peut s’intéresser à la politique sans agir immoralement à condition d’être de gauche, puisque tout ce qui est de gauche est moral et que rien de ce qui est de gauche n’est immoral. Gazer des poussettes, par exem­ple, est un acte gravement répréhensible à droite et hautement républicain à gauche.
Pour prendre un autre exemple, vio­­ler une bonniche immigrée dans un hô­tel de luxe est un crime capitalis­te, tandis que trousser une domesti­que qui ne demandait pas mieux est un si­gne de bonne santé, trahissant peut-être une libido un peu exaltée, mais à tout prendre, ça vaut mieux que pas de libido du tout, hein ? En gé­néral, la justice, qui est bonne fille, sait faire la part des choses et reconnaître l’innocence congénitale de l’hom­me de gauche : ainsi, DSK, le socialiste bonne cuisse bon genre, pour­rait obtenir un non-lieu mérité dans l’affaire du Carlton si les juges suivent les réquisitions du procureur de la République. Injustement accusé de proxénétisme, Krokro joli-cœur n’au­ra eu aucun mal à con­vaincre ce magistrat compréhensible qu’il se li­vrait avec les jeunes femmes que lui proposait son ami Dodo la saumure à des parties de jardinage en plantant le bananier. La mansuétude du proc ne s’est hélas pas étendue au bien nom­mé Dodo, qui restera injustement accusé de proxénétisme en ré­union. Ma conclusion ? Si j’ai moins de 2/20 à ma copie, Peillon est viré !  

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