Dieu est-il de gauche ? En tout cas, il a enfin exaucé le vœu des journalistes qui priaient depuis de longs mois pour avoir leur bavure sur mesure. On se souvient du tweet en forme de cri du cœur de Nicolas Chapuis, journaliste au « Nouvel Obs », lors de l’affaire Merah : « Putain, je suis dégoûté que ce soit pas un nazi. » On parlait ici même, la semaine dernière, de la prudence des médias lors de la tentative d’égorgement d’un militaire à La Défense par un soldat perdu de l’islam. Il fallait alors bien entendu attendre « les résultats de l’enquête » pour pouvoir affirmer que l’égorgeur avait « frappé au nom de son idéologie ». Autrement dit, il fallait attendre que l’affaire ait disparu de l’actualité pour pouvoir en parler, c’est-à-dire pour ne plus jamais en parler.
Concernant la mort de Clément Méric, la prudence s’est soudain évaporée, assimilée à une sorte de lâcheté. Ce n’est pas la peine d’attendre les résultats de l’enquête, les journalistes la connaissent de toute éternité : « Assassinat politique fomenté par l’extrême droite ».
Dans la vie, il y a des occasions à saisir dont on sait intuitivement qu’elles ne se renouvelleront pas de sitôt. Les journalistes n’ont pas laissé passer leur chance et j’imagine que certains ont carrément joui comme des bourricots. Vendredi 7 juin, à 8 heures du matin, France Culture, dans son rappel des titres de l’actualité, annonçait d’une voix solennelle : « Menace brune sur la France. » Ben mes aïeuls, quelle époque. On se couche le soir sans penser à rien, on se réveille le matin frais et dispo et voilà que pendant la nuit, les fascistes ont marché sur Rome !
Que disent les premiers témoignages sur cette affaire ? Des militants nationalistes se rendent à une vente aux enchères pour acheter leurs polos « Fred Perry » et leur panoplie folklorique. Ils tombent par hasard sur quatre militants « antifa », dont le jeune Clément Méric. Une fille arbore des « tatouages évocateurs » et un tee-shirt au slogan skin « Blood and Honour », si bien que les militants d’extrême gauche commencent à les « chambrer » (chose que personnellement je m’abstiendrais de faire).
« Pour les enquêteurs qui ont entendu de nombreux clients, vigiles et organisateurs [de la vente], c’est Clément Méric, pourtant freluquet, qui aurait été “le plus provocateur et insultant“ à l’égard des “fachos“ […], se moquant ouvertement de leurs tatouages », écrit « Libération ». Un témoignage diffusé au 20 heures de France 2 jeudi soir affirme qu’un skin aurait alors tendu son petit doigt pour signifier que l’« antifa » était trop gringalet pour lui.
La suite, c’est une histoire de cour de maternelle qui vire au drame. Les militants des deux bords se retrouvent dans la rue et se provoquent, un coup de poing est envoyé, Clément Méric tombe sur un plot et se tue. L’autopsie sera décisive pour savoir si c’est le coup de poing, ou plus vraisemblablement le choc sur le plot, qui l’a tué. Bref, un accident, tragique certes, mais un accident qui aurait mérité deux lignes dans les journaux. Pourquoi un tel foin alors ?
Parce que les gens qui nous gouvernent, et leurs chiens de garde, sont parfaitement informés de la situation du pays, de l’explosion sociale probable à venir, et du niveau pour eux effrayant que le Front national occupe désormais dans les intentions de vote pour les prochaines élections.
Le monde qu’ils nous ont légué est en passe de leur revenir en pleine poire et ils le savent. Dans leurs derniers comptes rendus adressés au gouvernement, les préfets, très alarmistes mais aussi très bien informés par les rapports du renseignement local, notent que « le désarroi des salariés alimente les discours de rejet de tout ce qui peut être perçu comme une forme de concurrence déloyale, en particulier la main d’œuvre étrangère ». Or, à qui va profiter ce « désarroi » ? Bingo.
Un autre sujet, disons d’agacement pour rester poli, est pointé par les préfets. Les expulsions locatives explosent un peu partout dans le pays quand les dispositifs d’hébergement d’urgence profitent exclusivement aux demandeurs d’asile dont le nombre est en augmentation. Là encore, pas besoin de sortir de l’ENA pour savoir à qui profiteront toutes ces humiliations faites aux Français. Notre élite a donc la pétoche. « 2 014 sera l’année de tous les dangers », affirme le président du groupe PS au Sénat, François Rebsamen, qui admet dans un entretien au « Nouvel Obs » que « le rejet de l’immigration, qui n’est plus considéré comme une chance pour la France, est devenu majoritaire » dans le pays.
Pour autant, rassurez-vous, il n’est pas question de changer de politique en la matière.
L‘affaire Méric arrive donc à point nommé et les rôles ont été distribués selon un scénario bien huilé.
Au front, les associations chargées de mouiller directement Marine Le Pen. A l’arrière, les journalistes ressassant d’un air professionnel l’assassinat d’un militant anarchiste par « l’extrême droite ». Or, qui est le leader de « l’extrême droite » ? On y est. Mais comme disait Confucius, on n’arrête pas une charge de cavalerie avec un cure-dent.
Julien Jauffret