. Huit ans après leur retour, le vendredi 6 juillet, ils passaient tranquillement la soirée dans leur maison, comme tout le monde : c’est là qu’ils ont été assassinés par un ou plusieurs fanatiques, avec une arme de calibre 7.62 [celui du kalachnikov, ndlr]. Trois bénévoles de notre association se sont rendus dans ce village pour apporter de l’aide à leurs proches et aux autres chrétiens de l’enclave.
Est-ce rare ?
Disons que c’est régulier. Les persécutions peuvent aussi prendre la forme de menaces. J’ai rencontré, l’an dernier, un couple de chrétiens qui avait décidé d’émigrer en Serbie : après de multiples agressions et cambriolages, des islamistes ont déposé un sachet de mort aux rats en évidence dans leur garde-manger ! La menace était explicite.
Que fait Solidarité Kosovo face à ce genre de périls ?
Nous ne pouvons qu’agir sur le plan humanitaire. C’est la K-for qui est théoriquement chargée de protéger ces malheureux.
Pour notre part, nous aidons les familles chrétiennes à acquérir une autonomie financière afin de leur offrir une possibilité de vivre dignement de leur travail. J’ai fondé SK au moment des pogroms antiserbes de mars 2004, au cours desquels trente églises ont été rasées, plusieurs villages incendiés et des milliers de Serbes orthodoxes persécutés.
En réunissant quelques personnes de bonne volonté, nous avons organisé un premier convoi humanitaire pour Noël 2004. Outre des vêtements, du matériel scolaire et de l’alimentation, notre camion apportait des jouets aux enfants chrétiens des enclaves afin que leurs parents aient, malgré une misère noire, un petit cadeau à mettre au pied du sapin.
Depuis, vous continuez ?
Oui. SK s’est rapidement développée et, outre l’incontournable convoi de Noël, nous organisons plusieurs expéditions humanitaires par an. Nous avons également augmenté le volume de nos cargaisons, passant de un à trois camions !
Mieux : actuellement, nous affrétons un poids lourd pour transporter de la nourriture, afin d’aider les chrétiens à tenir bon !
Ce petit miracle s’explique par l’aide de partenaires qui nous fournissent une partie de l’équipement et par des donateurs chaque fois plus nombreux, qui nous accompagnent tout au long de l’année. C’est grâce à leur générosité que nous pouvons nous faire connaître et prévoir des projets de plus en plus ambitieux. Sur place, nous avons également multiplié les contacts avec les médias, bien sûr, mais surtout avec l’Eglise orthodoxe serbe.
Le contact semble meilleur qu’avec d’autres associations humanitaires…
Oui, car contrairement aux autres ONG, nous sommes en phase avec le clergé orthodoxe, puisque nous fondons nos vies sur les mêmes principes ! Solidarité Kosovo est la principale ONG présente dans les enclaves chrétiennes, et la seule à travailler en partenariat officiel avec l’Eglise serbe du Kosovo, qui remplace l’Etat dans cette région. Le patriarcat serbe nous a choisi pour mettre en place un bureau de centralisation de l’aide humanitaire. C’est un grand honneur et une immense preuve de confiance. Le Kosovo ne possédait pas de structure pour gérer l’aide humanitaire et ne pouvait pas faire remonter les besoins des gens jusqu’aux ONG. SK a donc ouvert ce bureau en aménageant des locaux et en salariant plusieurs personnes.
L’objectif est de dresser un inventaire précis des besoins : quel dispensaire médical doit renouveler son matériel, où se trouvent des familles en grande difficulté ou des personnes âgées isolées, quelle école a besoin de tables et de chaises…
Quelles sont vos dernières réalisations ?
Cet été, nous avons organisé une classe de mer. Durant dix jours, du 15 au 25 août, grâce à la générosité de nos donateurs et au soutien de l’Eglise serbe du Kosovo, qui était partenaire de cette opération, nous avons pu emmener 40 petits chrétiens au Monténégro, où ils ont vu la mer pour la première fois de leur vie. Pour la première fois également, ils ont eu la possibilité de partir en vacances et de vivre tranquilles, loin des dangers. Vous n’imaginez pas la joie de ces gosses qui se baignaient et jouaient à la plage comme n’importe quel petit Européen. Nous leur avons également fait faire une balade en mer : ils étaient hypnotisés !
Est-ce suffisant ? Car après, ils reviennent toujours dans leurs ghettos…
Certes, mais nous suivons les enfants sur le long terme et attachons beaucoup d’attention à l’éducation et à l’instruction. Depuis sa création en 2004, SK a toujours eu comme priorité d’aider les plus petits, en soutenant notamment les initiatives scolaires. L’instruction revêt une symbolique toute particulière pour les enfants serbes du Kosovo-Métochie, puisqu’elle est synonyme d’apprentissage de sa langue et de son Histoire. C’est la raison pour laquelle les écoles chrétiennes sont mises au ban du Kosovo, sans soutien matériel ni financier. L’entretien et la rénovation des classes en sont alors réduits au strict minimum.
D’où votre projet de rénovation d’école ?
Oui, toujours en partenariat avec l’Eglise orthodoxe. Cet été, après plusieurs jours de visites et de discussions, notre choix s’est porté sur l’école du village de Straza, non loin de deux autres enclaves…
Pourquoi cette seule école, et pas d’autres ?
Parce que, malheureusement, nos moyens ne sont pas illimités et que nous ne pouvons pas faire autrement. Nous irons les aider dès que possible. En attendant, il leur faut tenir bon. Pour tout dire, nous avons sélectionné l’école à rénover en fonction du nombre d’élèves et de la vétusté des lieux, en apportant une attention toute particulière à l’isolation et au chauffage. Cette école, située dans un village montagnard, a été construite dans les années 1960. Elle accueillait 150 élèves avant la guerre et n’en compte plus qu’une quarantaine aujourd’hui.
L’infrastructure, qui n’a jamais été rénovée, est totalement délabrée : béton pourri, vitres cassées, bloc sanitaire repoussant, chauffage et isolation absents… Les plafonds des quatre salles de classe sont noirs de la suie déposée par la fumée des poêles à bois, qui font office de chauffage l’hiver. L’autre avantage de ce projet, c’est que nous faisons travailler des ouvriers chrétiens, ce qui permet de redynamiser un peu le tissu socio-économique local.
Ces enfants ont-ils vraiment un avenir au Kosovo ?
Oui, car ils sont charnellement attachés à leur terre et ne partiront que sous la contrainte. Leur existence est comparable à celle des chrétiens d’Orient, également persécutés, mais qui refusent de quitter leur patrie. En outre, en Serbie, le président Tomislav Nikolic annonce un renforcement du soutien diplomatique de Belgrade envers les chrétiens du Kosovo : en juillet, Nikolic a clairement affirmé que ces populations vivaient « sous la menace d’un nettoyage ethnique ». Il a mis en garde la communauté internationale en disant que si Pristina imposait son ordre aux chrétiens du Kosovo, « cela déboucherait sur un génocide ». L’Union européenne pourrait entendre cette mise en garde.
Pourrait-elle répondre positivement, selon vous, au vœu de partition du Kosovo demandé en juillet par le premier ministre serbe Ivica Dacic ?
C’est un débat épineux. Cela ne serait possible que si Pristina y trouvait son compte en récupérant une terre à majorité albanaise du sud de la Serbie. Bruxelles y est fermement opposée. Mais – selon la presse anglo-saxonne et un récent article du « Figaro » – certains diplomates, à Washington, y penseraient sérieusement, « pour vider l’abcès ». Ce n’est toutefois pas la position officielle des Etats-Unis. En attendant, le conflit est gelé : il nous faut donc travailler d’arrache-pied pour permettre aux chrétiens du Kosovo de ne pas disparaître de leur propre terre.!
Propos recueillis par Patrick Cousteau