céder la place au dirigeant de l’ÖVP Wolfgang Schuessel. Mais il n’empêche : durant sept années, les patriotes autrichiens participent à la gestion gouvernementale.
Jörg Haider semble avoir préfiguré l’essor des populismes européens, le plus souvent libéraux et conservateurs…
Oui, le FPÖ est un parti libéral qui a été membre de l’Internationale libérale. La révolution allemande de 1848, prolongement des événements qui ont lieu en France à la même époque, se déroule à Francfort-sur-le-Main.
Les libéraux, qui représentent à l’époque une force politique progressiste, désirent un accroissement et un renforcement des libertés individuelles (liberté de presse, d’association, de réunion, mais également la mise en place de mesures sociales. Ils sont également anticléricaux, c’est-à-dire opposés à l’intervention de l’Eglise dans les affaires de l’Etat. Si ces idées sont celles des libéraux au sein des différents pays d’Europe, en Allemagne ceux-ci désirent également réaliser l’unité du peuple allemand. Si, en Autriche, la tendance nationaliste grande-allemande reste puissante au sein du FPÖ, en Allemagne, elle a quasiment disparu au sein du parti libéral-démocrate, le FDP.
L’histoire étant ce qu’elle est, comment expliquer le succès de Jörg Haider ?
Il faut examiner les raisons liées à un contexte politique favorable ; et les capacités exceptionnelles de Jörg Haider pour en tirer profit. Au cours des années 1970, les deux partis du système, socialiste et social-chrétien, récoltent ensemble 90 % des voix. L’Autriche est à cette époque un petit pays tranquille protégé par le rideau de fer et au sein duquel les entreprises fournissent des emplois stables aux citoyens. L’ouverture des frontières change progressivement la donne. Le phénomène s’accélère avec le démantèlement du rideau de fer et l’effondrement des régimes communistes d’Europe de l’Est, ainsi qu’avec les guerres de démembrement de la Yougoslavie. L’Autriche se retrouve au début des années 1990 face à une délinquance massive. De plus, soumise à la mondialisation, l’économie autrichienne offre des emplois et situations économiques de plus en plus précaires. Jörg Haider surfe sur ces changements sociologiques afin de porter des coups au système en place et de récolter les voix.
C’est là qu’interviennent ses « capacités exceptionnelles » ?
Absolument ! C’est une personne extrêmement innovante qui met au point toute une série de stratégies et de méthodes qu’emploient encore son successeur à la tête du FPÖ… et les leaders populistes européens. Sur le plan tactique, Haider a compris l’importance cruciale de l’enracinement. C’est tout sauf un homme de coups. Lorsqu’il n’est pas actif à l’échelle du pays, il travaille le terrain dans son bastion. Il a donc à tout moment une possibilité de repli, en même temps qu’une base électorale solide qui le propulse sur la scène nationale.
Il a aussi compris l’importance d’une bonne communication…
Jörg Haider développe l’image d’un gagnant, jeune, bronzé, sportif. Il se déplace dans des voitures de sport et dispose d’une impressionnante garde-robe. En Carinthie, tout le monde l’appelle Jörg et le tutoie, tout comme il tutoie tout le monde. Au sein d’un paysage politique sclérosé, ses concurrents font pâle figure à côté de lui. Jörg Haider passe son temps à briser des tabous politiques. Il devient une sorte de Robin des Bois qui défend le peuple face aux abus des puissants. Il dénonce le partage de l’appareil d’Etat entre les deux partis du système et la distribution de prébendes aux affidés de ces formations politiques et de leurs organisations annexes. Il surfe sur le rejet de l’immigration et de l’insécurité. Il dit tout haut ce que beaucoup de personnes pensent tout bas.
Comment expliquer la soudaine chute de Haider, au milieu des années 2000 ?
N’ayant pu être chancelier d’Autriche, il décide de couper les ponts avec l’aile dure du parti et crée, en 2005, le BZÖ, Mouvement pour l’avenir de l’Autriche. Au sein du gouvernement, le BZÖ remplace le FPÖ. Ce dernier, repris en main par Heinz-Christian Strache, se retrouve dans l’opposition.
Ce fut une erreur car Haider a cassé une belle dynamique…
Oui. Lors des élections législatives d’octobre 2006, le BZÖ sauve les meubles en obtenant tout juste les 4 % nécessaires pour siéger au Parlement. Le FPÖ est à 11 %. Un gouvernement réunissant les sociaux-démocrates et les conservateurs voit le jour. Cependant, des élections anticipées ont lieu en septembre 2008. Le BZÖ décroche plus de 10 % des voix et le FPÖ 17,54 %. Jörg Haider déclare : « Je crois qu’après celle de Lazare, ma résurrection est la plus éclatante de l’histoire ! » Les liens sont renoués et la formation d’un gouvernement réunissant les deux partis patriotiques et le Parti conservateur est envisagée. Mais le 11 octobre 2008 au matin, la nouvelle tombe : Jörg Haider est décédé dans un accident de voiture.
En France, on imagine mal la portée de l’événement…
Parce que les Français font naturellement un parallèle avec le Front national diabolisé. Mais en Autriche, ce n’est pas pareil. Des milliers de personnes déposent des bougies dans le centre de Klagenfurt, la capitale de la Carinthie dont Haider est le gouverneur. Le gotha de la politique autrichienne, parmi lequel le président de la République autrichienne et le chancelier, participent à la cérémonie funèbre en présence de plus de 30 000 personnes – ce qui, pour un pays de seulement 8 millions d’habitants, est très important !
Vous remettez en cause la version officielle du décès de Jörg Haider. N’êtes-vous pas un peu conspirationniste ?
Non. Je ne suis pas du tout conspirationniste. Lors de la réalisation de mon livre, j’ai utilisé essentiellement des sources en allemand, ce qui m’a permis d’écarter les élucubrations d’une partie de la presse francophone sur le sujet. Au départ, j’ai complètement cru en la version officielle de l’accident et aux articles de presse prétendant à la bisexualité de Jörg Haider.
Mais au fil des lectures, des visites et des rencontres, j’ai découvert que la version établie ne tient pas la route. J’explique pourquoi au sein du livre, documents à l’appui. Haider vivait une véritable résurrection politique. Il est étrange qu’il ait pris le risque de se faire voir dans un établissement gay… Et apparemment, il ne s’y est pas rendu. En outre, lui qui ne buvait jamais une goutte d’alcool, n’aurait sans doute pas pris le risque de prendre le volant en état d’ivresse, car il savait qu’un malheureux contrôle routier avait ainsi coûté sa carrière à un célèbre politique autrichien. L’autopsie a révélé des conclusions troublantes sur la présence d’alcool dans le sang et les urines de Haider, dont la presse n’a pas tenu compte. La nature de l’accident ne correspond pas aux dégâts constatés sur la voiture. L’enquête semble avoir été bâclée… De plus, je ne suis pas le seul à penser cela. Le célèbre journaliste Gerhard Wisnewski, qui réalise des documentaires pour les plus grandes chaînes allemandes, a enquêté durant des mois sur le sujet et arrive à la conclusion qu’il y a 90 % de probabilités que Jörg Haider ait été assassiné.
Pourquoi s’en prendre à lui ?
Je ne connais pas encore les causes de cet éventuel assassinat, mais je sais que le retour de Haider sur le devant de la scène gênait beaucoup de monde. Permettez-moi enfin de rappeler qu’il n’est pas incongru d’envisager l’assassinat d’un leader populiste. Après tout, le Français François Duprat est-il, oui ou non, mort dans un attentat à la bombe ? Jean-Marie Le Pen a-t-il, oui ou non, échappé à un attentat qui a fait exploser tout son immeuble ? A-t-on, oui ou non, mis le feu à la maison du Suisse Oskar Freysinger ? Le néerlandais Pim Fortyuin a-t-il, oui ou non, été assassiné ? Alors pourquoi pas un Haider à nouveau en plein essor ? n
Entretien réalisé par Patrick Cousteau
Pour en savoir plus
Jörg Haider, le phénix. Histoire de la famille politique libérale et nationale en Autriche, éd. des Cimes, 192 p., cahier de 16 pages de photos en couleurs, 19 euros.
Disponible sur le site Internet http://editions-cimes.fr/ou par chèque de 22,50 euros (dont 3,50 euros de frais de livraison) à l’ordre de EDC/ASMA, BP 80 308, 75 723 Paris Cedex 15.