En 1998, le scandale a éclaté : on a dénoncé le dopage organisé à l’aide de nouveaux produits comme l’EPO. C’est devenu de plus en plus mafieux et la police s’en est mêlée. Cela a provoqué une révolution culturelle inédite : 15 à 20 % du peloton ne se dopaient plus et on doit atteindre environ 50 % aujourd’hui : c’est un miracle.
Est-ce à la figure même du héros cycliste que l’on s’en prend actuellement ?
Il y a eu le désir d’éradiquer la supériorité, les valeurs de l’Ancien Régime qui pouvaient sacrer le « roi » Merckx. Le peloton, c’était « l’autorité en haut et les libertés en bas ». Mais de nos jours, la supériorité devient embarrassante. Les grands grimpeurs, tel l’Espagnol Federico Bahamontès, surnommé « l’aigle de Tolède », vainqueur du Tour 1959, ont disparu : ils incarnaient la spiritualité du sport cycliste, la grâce et la légèreté. Ces êtres hors normes ont été détruits. Le cyclisme est devenu rationaliste, au nom de la lutte contre le dopage et contre la circulation d’argent sale mais aussi au nom de la lutte contre l’être supérieur, contre la division féodale du peloton entre le roi, ses vassaux et le peuple.
Le génie d’Armstrong, c’est de n’avoir jamais nié s’être dopé, d’avoir juste souligné ne s’être pas fait prendre. Les coureurs cyclistes, comme les rugbymen, portent les valeurs de leur nation. Jusque dans les années 1970, « L’Equipe » parlait des « valeurs de la race » (au sens de nationalité) à propos des coureurs espagnols, italiens ou français.
On protège aujourd’hui les athlètes, les tennismen et les footballeurs mais on s’en prend aux cyclistes. En athlétisme, l’aspect physique même des coureurs jamaïcains ou américains du 100 mètres montre qu’ils sont littéralement dopés. Le vrai record du 100 mètres, c’est 9’ 92, c’est Christophe Lemaître.
Le fait que le dopage soit devenu central dans le cyclisme a-t-il de graves conséquences sur l’engouement des Français pour ce sport, notamment chez les jeunes ?
Curieusement, non. Il y a toujours autant de monde au bord des routes pour le Tour de France. Les organisateurs du Tour ont favorisé, protégé les Français, jusqu’au milieu des années 1980. Le paradoxe, c’est que le dopage protège les coureurs plus que l’eau. Le sport est criminogène et relève de valeurs archaïques.
L’époque des Anquetil, Poulidor, Hinault, Fignon est-elle définitivement révolue ? Le cyclisme a-t-il rejoint le cimetière où gisent tant de nos mythologies françaises ?
S’il y a moins de Français dans les premiers, c’est avant tout la conséquence de l’internationalisation de ce sport, avec les succès des Américains, qui sont là pour gagner, ou des coureurs venus de l’Est, qui ont aussi une culture de « tueurs ». Les Français ont joué l’honnêteté sur le dopage après 1998, alors qu’en Espagne, le laxisme règne.
Et puis, il y a le problème des vélos truqués dans les quinze dernières années pour pallier la diminution du dopage. Le scandale va bientôt éclater.
La tricherie et la combine sont intrinsèques au cyclisme mais côtoient ce qu’il y a de plus beau en l’homme : la transcendance, le courage.
Propos recueillis par Jacques Cognerais